Par Geneviève Quessy
En acquérant la division distribution de la Fromagerie Atwater Aux Terroirs en 2014, la Laiterie Charlevoix saisissait l’occasion de développer l’entreprise sur un mode d’intégration verticale, tout en prenant d’assaut le marché des HRI (hôtels, restaurants et institutions). Cela lui permet maintenant de jouer un rôle de premier plan dans la promotion des fromages d’ici.
De laitier du village à distributeur international
Depuis la création de la Laiterie Charlevoix à Baie-Saint-Paul en 1948, par Elmina Fortin et Stanislas Labbé, les temps ont bien changé. « À l’époque, chaque village avait sa laiterie. Mon arrière-grand-père distribuait le lait dans des bouteilles en verre à chaque maison », raconte Philippe Labbé.
Face à la concurrence des industriels dans le domaine, les laiteries de village ont dû redoubler d’efforts pour arriver à se démarquer et à faire leur place. La famille Labbé a décidé de résister, en transformant le lait de la Laiterie Charlevoix en cheddar en grains, puis en se lançant, au milieu des années 90, dans la fabrication de fromages fins.
Dominique Labbé, de la 3e génération des Labbé, est le maître fromager derrière la création de toutes les recettes. Parmi ses créations fromagères, dont Le 1608, L’origine de Charlevoix, Le Cendré des Grands-Jardins, et Le Hercule, plusieurs ont gagné des prix. Aujourd’hui, ce sont deux millions de litres de lait qui sont transformés à la fromagerie de Baie-Saint-Paul, tous les jours de l’année, sauf à Noël et au jour de l’An !
Quand la production de fromage en grains a débuté à la Laiterie Charlevoix, les clients venaient s’approvisionner directement au comptoir de la fromagerie. Plus tard, les commerces de la région ont commencé à le distribuer, puis quand la Laiterie Charlevoix s’est lancée dans la production de fromages fins, leur distribution s’est étendue à tout le Québec et, maintenant, à tout le Canada.
Innover par l’intégration verticale
« Puis un jour, des discussions se sont entamées avec La Fromagerie Atwater, qui distribuait nos fromages depuis déjà 20 ans, et on a convenu d’acheter sa division distribution, appelée Aux Terroirs. Notre stratégie était d’en venir à contrôler le cycle complet de nos produits en intégrant l’entreprise sur un mode vertical. Ainsi, on contrôle ce que nos vaches mangent, on transforme leur lait et on distribue nos fromages, dans nos propres boutiques », explique Philippe Labbé.
En se portant acquéreur de la division de distribution Aux Terroirs, la Laiterie Charlevoix devenait, en 2014, le premier producteur laitier du Québec à opérer sa propre entreprise de distribution.
« En tant que producteur fromager, on est bien placés pour comprendre la réalité de nos fournisseurs. On parle le même langage ! D’être propriétaires de notre propre réseau de distribution nous permet de voir les besoins du marché et de pouvoir suggérer à un fournisseur de produire tel ou tel fromage en demande. C’est gagnant pour tous », dit Philippe Labbé.
De nouvelles opportunités grâce au réseau des HRI
Depuis son acquisition, Philippe Labbé dit avoir doublé le chiffre d’affaires du réseau de distribution Aux Terroirs, lequel représente aujourd’hui les produits d’une vingtaine de fromageries artisanales et distribue plus de 275 produits haut de gamme, fromages et charcuteries.
« Ce développement est vraiment passé par le réseau des HRI, qui représente maintenant 50 % de nos volumes de vente. Puisque nous ne faisons pas affaires avec les grandes surfaces et que les magasins spécialisés sont limités, en axant notre développement sur les HRI, on avait la possibilité de créer de nouveaux partenariats. Des restaurants qui ouvrent, au Québec, il y en a à tous les jours. »
Le marché des HRI est un peu différent du marché des consommateurs, dit Philippe Labbé. « La principale différence c’est le nombre de produits que tu vas entrer dans un endroit. Les boutiques veulent des gammes complètes, vont souvent prendre 3 différentes pâtes molles, trois différentes pâtes fermes, par exemple. Du côté des HRI, le client va prendre moins de variétés, mais parfois plus de quantité. Une chaine de restaurants pourrait ainsi consommer beaucoup de mozzarella rappée ou de cheddar québécois en tranches pour ses burgers. »
Selon Philippe Labbé, les fromages québécois ont la cote auprès des chefs, qui mettent de plus en plus le terroir au menu. « Les chefs recherchent des fromages appréciés des connaisseurs comme des néophytes. Ils privilégient des fromages qu’ils peuvent utiliser de plusieurs façons, soit en gratin, en sauce, en fondue, tranchés pour les burgers, ou pour dresser des plateaux. Plusieurs pâtes semi-fermes s’y prêtent bien, entre autres. »
Il arrive que les tendances qui courent dans le marché des HRI aillent se refléter sur le marché des consommateurs et vice et versa. « Parfois, un chef nous demande un produit très spécifique qu’on demande à un producteur de produire, et on lui en commande une quantité en surplus qui va se retrouver dans les comptoirs des fromageries. D’un autre côté, les chefs consultent les fromagers pour savoir ce qui est populaire auprès des consommateurs et pourrait rendre leur menu attirant. Tout le monde travaille en synergie. »
Même si certains produits standards, comme le fromage râpé ou tranché, restent très utilisés dans le réseau des HRI, les fromages de toutes natures y trouvent leur place, selon Philippe Labbé. « Ca dépend vraiment des endroits, des menus. Depuis quelques années, certains chefs se sont mis à nous acheter du lait pour produire leur propre fromage. Tout est possible ! »
On peut donc constater qu’il est vrai que les marchés consommateur et HRI sont indéniablement distincts, mais chacun offre des opportunités uniques et parfois même complémentaires. La Laiterie Charlevoix a donc comme approche de prendre le pouls de ces deux clientèles et de s’en servir pour faire croître les deux marchés.