Par Guylaine Laganière, spécialiste microbiologie, R&D
Près de 25 ans après l’introduction des premières variétés de maïs, de coton et de canola génétiquement modifiées, le débat entourant les organismes génétiquement modifiés (OGM) demeure. Les différents objectifs visés que sont le rendement des cultures, la protection de la santé des consommateurs et la protection de l’environnement sont des sources de divisions au sein des différentes parties concernées. Certains pays interdisent l’usage des organismes issus du génie génétique, alors que d’autres comme le Canada continuent de reconnaître l’innocuité de ces aliments et d’en permettre la commercialisation. Depuis 2016, nous avons même franchi le pas vers les organismes animaux avec l’arrivée sur le marché de la première espèce de poisson issue du génie génétique.
Du glyphosate dans l’engrenage
Par contre, chez nos voisins du sud, de nouveaux éléments viennent amener de l’eau au moulin des discordances au sujet des OGM et de l’usage des pesticides qui leur sont associés. Le géant des semences Bayer (anciennement Monsanto) a récemment perdu un procès en Californie au cours duquel 289 millions de dollars ont été alloués à un jardinier d’école, alléguant que l’exposition au pesticide à base de glyphosate Roundup avait contribué à son cancer. De plus, la Cour suprême de Californie a refusé d’entendre l’appel de Monsanto visant à retirer le glyphosate de la liste des produits chimiques responsables de cancers ou d’anomalies congénitales. Et pour couronner le tout, un juge brésilien a décidé d’interdire l’utilisation du glyphosate dans tout le pays jusqu’à ce que d’autres études toxicologiques soient achevées. Bien que ce jugement ait été renversé depuis pour des raisons économiques, il démontre tout de même que de plus en plus de pays réagissent à l’accumulation de données qui pointent vers un effet cancérigène du glyphosate.
Aucun lien n’a été établi entre le cancer du jardinier d’école et sa consommation d’aliments ou d’ingrédients génétiquement modifiés. Mais tous les OGM finissent dans le même panier, même si le saumon modifié du Canada n’a certainement pas besoin de glyphosate pour se développer.
Étiquetage et innocuité
Bien qu’au Canada aucune réglementation n’exige l’étiquetage des OGM sur l’emballage des produits alimentaires, de nombreux produits s’affichent maintenant comme étant sans OGM. Certains aliments font partie d’un programme de vérification par une tierce partie, d’autres sont le fruit d’une initiative du producteur lui-même de vérifier la source des ingrédients afin de s’assurer qu’ils sont sans OGM. Pourtant, l’Organisation mondiale de la santé (OSM) affirme que les OGM disponibles sur le marché international ont passé des évaluations de sécurité et ne sont pas susceptibles de présenter des risques pour la santé humaine. En outre, la consommation de ces aliments par la population en général dans les pays où ils ont été approuvés n’a eu aucun effet sur la santé des consommateurs. À l’origine, les craintes ressenties concernaient : 1) le potentiel de produire de nouveaux allergènes, 2) le transfert de gènes conférant une résistance aux antibiotiques et 3) la migration de gènes à partir de cultures pour les animaux vers les cultures pour les humains. Pour les deux premières possibilités, aucun incident n’est rapporté par l’OSM. Pour la troisième, il a été possible pour plusieurs pays de prendre des mesures afin de séparer les champs et d’éviter les migrations.
Alors pourquoi les bienfaits et les avantages des cultures issues du génie génétique sont-ils toujours remis en question, contrairement à d’autres technologies pour lesquelles les effets nocifs sur la santé sont bien connus ?
Droit du consommateur
Si après 20 ans de consommation d’OGM nul ne peut démontrer des effets indésirables sur la santé humaine, il demeure qu’une majorité de consommateurs réclame depuis longtemps le droit de savoir si les aliments qu’elle se procure au marché sont modifiés. Lors d’un sondage effectué pour le compte de Santé Canada en 2016, 78 % des répondants canadiens affirmaient vouloir un étiquetage obligatoire des OGM. Un autre sondage de l’Université de Dalhousie obtient 70 % de répondants fortement favorables à l’étiquetage obligatoire. Ces données suggèrent que les producteurs alimentaires auraient avantage à prendre en considération les attentes des consommateurs quant à la provenance de leurs aliments ou ingrédients.
Les technologies de l’avenir
Les cultures existantes d’OGM semblent être là pour rester dans les pays où elles n’ont pas été bannies. Cependant, rien n’arrête le progrès en biotechnologie et un nouvel outil puissant d’édition de gènes, CRISPR-Cas9 (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats-associated protein 9), risque de redessiner le paysage des aliments modifiés. Cet outil permet de modifier les traits génétiques d’un organisme et, si le passé est garant de l’avenir, il risque de soulever les passions en agriculture, comme seul un génome modifié peut le faire. Les États-Unis travaillent présentement sur un projet de loi qui dispenserait les aliments modifiés avec CRISPR-Cas9 des exigences règlementaires applicables aux OGM. Selon le United States Department of Agriculture (USDA), la méthode CRISPR-Cas9 est comparable aux techniques traditionnelles de croisement génétique et ne nécessite pas d’être réglementée.
Par contre, l’émergence de cette technologie s’effectue avec une transparence beaucoup plus favorable à l’appréciation de la population, contrairement à la création des OGM au cours des années 90. Plutôt que de provenir des laboratoires privés de grandes multinationales qui œuvrent dans le secret, les concepts scientifiques de l’outil CRISPR-Cas9 sont issus du monde académique et sont accessibles à tous. Il est à espérer que toutes les parties concernées par l’émergence de ces technologies sauront communiquer avec la population, de façon à alimenter un débat éclairé et reposant sur des faits scientifiques bien exposés.