Nestlé, Campbell, Unilever et d’autres investissent dans les offres de repas à préparer à domicile pour séduire les Millennials, qui boudent la nourriture industrielle et les supermarchés.
Manger vite et sainement. C’est le nouvel impératif alimentaire des Américains, en particulier des jeunes actifs et des « Millennials » (nés entre 1980 et 2000), qui tendent à bouder la nourriture industrielle prisée par leurs aînés pour choisir des produits plus sains et plus frais. Cette tendance, qui ébranle l’ensemble du secteur agroalimentaire aux Etats-Unis depuis quelques années, a favorisé l’émergence de dizaines de start-up proposant un concept jusque-là inédit : les repas en kit.
Le principe est simple : le consommateur commande sur Internet une boîte contenant de quoi préparer un ou plusieurs repas avec tous les ingrédients nécessaires – viande ou poisson crus, légumes et condiments pré-dosés. Celle-ci lui est livrée avec la recette détaillant les étapes de préparation. Le coût (élevé) avoisine les 10-15 dollars par repas, généralement sur la base d’un système d’abonnement. Le consommateur pressé évite ainsi la contrainte du trajet au supermarché, mais a la garantie de produits sains (« achetés à la ferme », promettent même certaines sociétés), et apprend au passage à cuisiner des plats variés et exotiques, une expérience jugée gratifiante.
Un succès encore relatif
Les start-up Hello Fresh, Blue Apron, Homefresh ou encore Plated ont été parmi les premières à investir ce créneau il y a cinq ans. Elles affichent aujourd’hui des valorisations affolantes, malgré un succès encore tout relatif : selon le cabinet NPD, seuls 5 % des Américains avaient essayé un repas en kit au cours de la dernière année. Mais ce qui est encore perçu comme une lubie de jeunes urbains branchés pourrait bien se transformer véritable industrie. Car les groupes agroalimentaires, qui voient leurs ventes stagner aux Etats-Unis, ont commencé à avancer leurs pions sur ce marché prometteur.
Pour ces derniers, il s’agit à la fois de trouver des relais de croissance et de séduire des consommateurs qui tendent à se détourner non seulement de leurs produits, mais aussi des supermarchés, pour acheter en ligne. « Les repas en kit sont une tactique pour combattre la menace grandissante de l’e-commerce et de l’épicerie en ligne », confirme Diana Sheehan, chez Kantar Retail. Le géant de la viande Tyson Foods a ainsi lancé en 2016 une gamme de repas en kit vendus exclusivement sur l’épicerie Amazon Fresh. Le suisse Nestlé vient de prendre une participation dans la start-up new-yorkaise Freshly, tandis que le groupe Campbell vient d’investir dans son concurrent Chef’d. « Le commerce en ligne va transformer l’industrie agroalimentaire comme il l’a fait dans les loisirs et la mode », a prévenu Denise Morrison, la directrice générale de Campbell Soup en début d’année. De son côté, Unilever a investi dans Sun Basket, qui livre des kits pour repas bio, végétariens ou sans gluten.
Le trouble-fête Amazon
Si plusieurs start-up ont déjà fermé dans cet univers devenu très concurrentiel, l’arrivée de géants de l’agroalimentaire pourrait donner un nouvel élan à ce marché, estimé à 1,5 milliard de dollars par Packaged Facts, et auquel nombre d’experts prédisent encore de belles années. Pour ces grands groupes, les barrières à l’entrée sont de fait limitées – ils fabriquent une partie des produits entrant dans la composition des menus, disposent de bons réseaux de distribution et d’une force de frappe financière incomparable.
Mais, de l’avis général, c’est l’arrivée d’Amazon qui pourrait bouleverser les fondamentaux du marché. Le géant du commerce en ligne, qui vient de mettre la main sur les supermarchés haut de gamme Whole Foods, pourra facilement concevoir et distribuer ses propres repas en kits auprès des 31 millions d’adhérents à son service Prime. « Les Américains ayant tenté les repas en kit sont encore peu nombreux, mais si Amazon et Nestlé s’y mettent, la croissance du marché va s’accélérer, car les prix vont certainement baisser », prédit Darren Seifer, analyste chez NPD. Le prix unitaire des repas reste en effet l’un des principaux obstacles pour les consommateurs. A 10-15 dollars en moyenne, il est deux à trois fois supérieur à celui d’un repas fait maison.
BLUE APRON, LA LICORNE
Créée en 2012, Blue Apron n’est pas la première à s’être lancée sur le marché des repas en kits, mais c’est celle qui a le mieux réussi : elle affichait fin mars 1 million de clients. Une performance qui lui a permis de s’introduire en Bourse fin juin, sur la base d’une valorisation approchant les 2 milliards de dollars.
Mais l’entreprise a dû revoir son prix à la baisse de près de 40 % après qu’Amazon a annoncé le rachat des supermarchés Whole Foods, une opération qui donnera au géant du e-commerce un redoutable atout pour se lancer sur ce marché déjà saturé. Malgré des ventes de près de 800 millions de dollars (700 millions d’euros) en 2016, Blue Apron ne dégage pas de bénéfices. Pour se différencier de ses nombreux concurrents, elle propose du vin et des ustensiles de cuisine en complément de ses kits.
HELLOFRESH, LE PIONNIER
Créé en Allemagne dans l’incubateur de start-up Rocket Internet en 2011, HelloFresh s’est développé rapidement sur la promesse d’un repas prêt en moins de trente minutes. Six ans plus tard, l’entreprise est présente dans neuf pays, dont les Etats-Unis, où elle est numéro deux derrière Blue Apron, selon NPD. Son seul échec reste à ce stade la France, où elle a tenté une incursion infructueuse entre 2012 et 2015.
La société a envisagé de s’introduire en Bourse il y a deux ans, sur la base d’une valorisation supérieure à 2,5 milliards de dollars, avant de renoncer, pointant des conditions de marché défavorables. Cette année-là, elle affichait des revenus de 300 millions de dollars et revendiquait près de 1 million de clients. Mais, comme la plupart de ses concurrentes, elle n’a pas encore gagné un centime.
TYSON TASTEMAKERS, LE SPÉCIALISTE DE LA VIANDE
Tyson Foods, le géant de la viande de boeuf et de poulet basé dans l’Arkansas, est le premier industriel à avoir développé sa propre ligne de repas en kit, à base de viande. Baptisée « Tyson Tastemakers », elle a été lancée en 2016 et est vendue exclusivement sur Amazon Fresh dans un petit nombre de villes. Le principe : « Les consommateurs ne savent pas préparer les viandes crues à la maison », selon Mario Valdovino, responsable de l’innovation chez Tyson Foods.
A 20 dollars la boîte de trois repas, les kits de Tyson sont un peu moins chers que ceux de la concurrence. Moins d’un an après ce lancement, le groupe a commencé à élargir la distribution de ses boîtes, qu’il compte à terme vendre dans tout le pays, en ligne et dans les magasins.
Source : www.lesechos.fr