«Avec l’achat alimentaire en ligne, le Canada risque de voir disparaître 400 supermarchés d’ici 2025. Voici pourquoi… »

Sylvain Charlebois, Doyen de la Faculté en Management, Professeur en Distribution et Politiques Alimentaires, Université Dalhousie.

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Faire sa commande dans son salon

Un récent rapport publié par le Food Marketing Institute suggère que 20 % des achats alimentaires s’effectueront en ligne d’ici 2025. C’est énorme. Un tel pourcentage pourrait entraîner la disparition de près de 400 supermarchés d’ici neuf ans. Malgré son départ très lent depuis quelques années, le rythme de la numérisation du commerce de détail en alimentation risque de supplanter tous les autres secteurs. Et le Canada n’est certes pas à l’abri de cette mouvance.

Pour le Canada, voir plus de 400 supermarchés traditionnels se convertir en magasin virtuel d’ici une dizaine d’années est une réelle possibilité. Présentement, les achats alimentaires en ligne au Canada se situent à environ 2 milliards de dollars. C’est à peine 1 % du marché. Ce sont des miettes comparativement au 10 % en Allemagne, 13% en France, voire même 30 % en Angleterre. Mais selon certaines estimations, la croissance de l’achat alimentaire en ligne pourrait atteindre 3,6 milliards, annuellement à partir de 2019. Donc le taux de 20 % d’ici 2025 n’est pas qu’une illusion et les stratégistes de l’alimentation le savent.

Il y a donc du mouvement sur le marché, plusieurs projets sont en branle. Wal-Mart et même Loblaw offrent déjà le service « cliquez et ramassez » dans plus de 50 magasins dans diverses régions du pays, incluant plusieurs sites en Ontario, ainsi qu’à Edmonton, Ottawa, Vancouver et Kelowna, en Colombie-Britannique. Ces initiatives ont déjà connu un certain lot de succès. D’ailleurs, ces deux entreprises ajoutent pratiquement un nouvel endroit par semaine où il est possible de « cliquer et ramasser ». Même IKEA fournit maintenant ce service à Winnipeg à titre de projet-pilote. Métro annonçait dernièrement que l’entreprise québécoise emboîtait le pas en rendant ce service accessible à certains emplacements. Mais outre les grandes bannières, quelques indépendants tels que Mourelatos et Les Jardins Urbains proposent aussi l’expérience de la cyberépicerie.

Au Québec, IGA propose ce service depuis 1996 à sa clientèle. Pour l’internet, 1996 est l’âge préhistorique et pourtant on offrait déjà les achats en ligne. Mais à l’époque, IGA poursuivait sa stratégie cybernétique avec une certaine réserve puisque l’expérientiel en magasin était l’objectif premier. Amener le client dans le magasin pour le faire consommer davantage était la clé. L’achat compulsif est payant. Mais surtout, les détaillants ne voulaient pas cannibaliser leur marché. Cependant, avec les géants non traditionalistes comme Wal-Mart, Costco et même AmazonFresh qui dérangent et s’amènent à grands pas, les épiciers ont bien compris depuis peu qu’il est mieux de cannibaliser son propre marché que de perdre un client au profit d’un concurrent.

Au début, ce qui motivait les grands distributeurs à convertir certains magasins était l’arrivée de la génération internet. Cette génération Y achète tout en ligne, même l’épicerie. On décèle même un marché tout aussi intéressant avec les baby-boomers vieillissants, surtout en hiver quand les sorties sont souvent plus hasardeuses. Par contre, le segment qui prend le plus d’expansion pour l’achat en ligne alimentaire ces derniers temps est constitué de jeunes familles, ayant un ou deux enfants. La Génération Y qui élève ses enfants, est à court de temps et voit en l’internet un outil idéal pour faire autre chose que d’attendre à la caisse du magasin. La commande en pyjama avec le café à la main, depuis son salon, pourquoi pas ? C’est pour cela que Amazon a récemment ouvert à Seattle un magasin alimentaire sans caisse. Wal-Mart vient de faire la même chose en Floride cette semaine. Vous pouvez faire vos achats en magasin, et payer automatiquement par le biais de votre téléphone intelligent.

L’achat alimentaire en ligne peut sembler farfelu pour certains, mais une fois qu’on y goûte, ce n’est plus la même chose. Selon la recherche dans ce domaine, le premier achat est toujours plus difficile. Mais une fois celui-ci effectué, plus de 80 % des consommateurs achèteront des produits alimentaires une seconde fois. Aussi, ce n’est pas tous les produits qui ont du succès en ligne. En effet, la migration des ventes de produits qui se situent au centre du magasin vers les ventes en ligne sera plus rapide que pour les autres sections du magasin. Les produits frais ont un peu moins de succès, mais il y a une tendance à la hausse.

Somme toute, lorsque vient le temps de comparer le Canada avec d’autres pays, nous avons encore du chemin à parcourir pour rejoindre le reste du monde industrialisé, malgré notre connectivité avec l’internet. Le paysage cybernétique alimentaire vit une métamorphose que peu de gens anticipaient il y a de cela quelques années. L’expérientiel n’a plus la même valeur pour tout le monde, et l’industrie s’adapte. La cybernétique alimentaire vit toujours ces premiers balbutiements, mais tout porte à croire que cela n’en restera pas là.

Dr. Sylvain Charlebois, B.Comm MBA DBA
Dean of Management and
Professor in Food Distribution and Policy
Faculty of Management
Faculty of Agriculture

Faculty of Management
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