« La publication du recensement sur l’agriculture annonçant la disparition de la “ferme familiale” en laisse plusieurs indifférents, et c’est tant mieux. »
SYLVAIN CHARLEBOIS, Doyen de la Faculté en Management, Professeur en Distribution et Politiques Agroalimentaires, Université Dalhousie
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Moins de fermes, plus d’intelligence
Les fermes canadiennes disparaissent. Selon le plus récent recensement sur l’agriculture effectué par Statistiques Canada, le nombre de fermes a chuté de 16 % depuis 2006. Nous comptons maintenant à peine 190 000 fermes au Canada. Malgré cela, plusieurs éléments du rapport nous rassurent. Notre agriculture est maintenant plus variée, et surtout, plus efficace.
La réaction produite la semaine dernière par la sortie du rapport de Statistiques Canada n’a curieusement pas trop dérangé. Auparavant, l’indignation s’installait chaque fois qu’un rapport nous indiquait que le Canada ou le Québec comptait moins de fermes, tandis que certains analystes et groupes d’intérêts prévoyaient l’apocalypse agraire. Plusieurs se préoccupaient du nombre de fermes qui diminuait à un rythme infernal. Pendant des années, chaque province voyait le nombre de ses fermes diminuer de 10 % par an, voire même jusqu’à 15 % dans certains cas.
Aujourd’hui, rien, ou presque. Il semble que la relation que nous entretenons avec l’agriculture et les agriculteurs vit une transition intéressante. Préalablement, l’annonce du modèle de la ferme familiale en danger nous perturbait. Mais en comprenant mieux les enjeux, plusieurs semblent accepter que l’agriculture moderne doive se multidimensionnaliser. Il y a de la place pour une multitude d’approches. L’agriculture paysanne, urbaine, et bien sûr, la grande exploitation pour les marchés internationaux. La coexistence de ces cultures offre à notre économie agroalimentaire une plus grande versatilité. Et pourquoi pas ? L’agriculture se veut une réflexion de notre demande alimentaire qui se fragmente davantage ces derniers temps.
C’est effectivement ce que les données de Statistiques Canada nous démontrent. D’abord, il semble que la grande culture s’affirme. En raison de l’urbanisation, la superficie des terres agricoles diminue, mais la superficie des terres en culture a augmenté de près de 7 % depuis 2011. Ceci veut donc dire que nous gérons nos terres efficacement et que les exploitants font preuve d’une intelligence stratégique exemplaire.
La taille des exploitations agricoles augmente. La ferme moyenne exploite 820 acres, une augmentation de 5 % depuis 2011. Une amélioration certes, mais loin du point d’optimisation de la grande culture. Personne ne s’entend sur le nombre optimal d’acres pour une exploitation agricole aujourd’hui, mais c’est beaucoup plus que 820 acres. La dimension d’une ferme familiale américaine moyenne dépasse les 1 400 acres. Une exploitation américaine de grande culture excède habituellement 2 500 acres. Même si nos fermes deviennent de plus en plus rentables, selon le recensement, nous avons du chemin à faire pour développer une production agricole capable de rivaliser avec les grands de ce monde.
Les lentilles, le soja et le canola ont la cote, et l’agriculture semble répondre à une demande sans cesse grandissante. En effet, puisque les consommateurs recherchent de plus en plus les protéines végétales, le Canada est maintenant le plus grand producteur de lentilles au monde, depuis 2014. Quant au bétail, l’expansion sourit aux secteurs porcins et avicoles, tandis que la situation est moins rose pour le bovin. La filière laitière, quant à elle, produit 8 % de lait de plus depuis 2011 avec environ 9 % moins de vaches. La « super-vache » ne représente pas un mythe que l’on retrouve uniquement chez nos voisins du sud, il existe bel et bien au Canada aussi, malgré notre régime de quotas.
Autres bonnes nouvelles. La production consacrée aux fruits, petits fruits et noix a connu une hausse de près de 7 % depuis 2011. Mais aussi, la superficie de la production en serre a augmenté de 30 % au Canada, depuis six ans. C’est énorme. Plusieurs investisseurs se consacrent à la filière serriste afin d’augmenter notre souveraineté horticole à longueur d’année, une expansion surtout palpable au Québec et en Ontario. Une ferme sur huit au Canada vend directement aux consommateurs. Cette tendance s’explique par le besoin accru des citadins de communiquer et traiter avec l’agriculteur. Assurément, ces interactions qui se multiplient éliminent peu à peu le clivage qui existe entre les citadins et la campagne.
Par contre, notre préoccupation première doit se tourner vers la relève agricole, et le rapport nous indique que l’agriculture peine à se rajeunir. L’âge moyen d’un exploitant agricole s’établit maintenant à 55 ans; la moyenne la plus élevée de l’histoire pour notre pays. Pire encore, une ferme sur douze n’a même pas de plan de succession. C’est alarmant. Pendant que certains citadins s’adonnent à l’agriculture de plaisance, par choix, les jeunes continuent à fuir les campagnes. Certains résistent, malgré la tendance. Pour la première fois depuis 25 ans, le nombre d’exploitants agricoles au Canada a augmenté. Les femmes jouent aussi un plus grand rôle en agriculture, selon le recensement.
Avec ces résultats, notre souveraineté agraire n’est pas pour autant compromise. En effet, elle se maintient par une agriculture plus efficace et diversifiée, en mesure de protéger et mieux gérer notre patrimoine agricole. Durant les prochaines semaines, Statistiques Canada nous promet de dresser un portrait plus détaillé et actuel de l’agriculture au Canada. Ainsi, ne soyez pas surpris de réaliser que l’époque où la vache broutait dans le champ pendant que le fermier la trayait en ramassant son lait dans une petite chaudière est révolue. Et c’est tant mieux.