« Lidl arrive en Amérique. Ce géant allemand de la distribution a le potentiel de perturber le marché américain. Pour le Canada, cela pourrait prendre un certain moment. »
SYLVAIN CHARLEBOIS, Doyen de la Faculté en Management, Professeur en Distribution et Politiques Agroalimentaires, Université Dalhousie.
Le géant allemand de la distribution alimentaire Lidl s’installe aux États-Unis. Ces dernières semaines, Lidl a inauguré une dizaine de magasins, principalement situés en Virginie et dans les Carolines. D’ici la fin de l’année, Lidl envisage d’ouvrir une centaine de magasins aux États-Unis. Aldi, un autre géant allemand, planifie ouvrir plus de 900 magasins supplémentaires aux États-Unis. En alimentation, les Américains vivent une véritable invasion allemande, mais le cas de Lidl est particulier.
Pendant qu’Aldi offre la simplicité, Lidl minimalise. Lidl exploite déjà plus de 10 000 magasins dans 27 pays différents. Mondialement, Lidl est cinquième en importance au monde en terme du nombre de magasins. L’entreprise emploie plus de 325 000 personnes et génère plus de 120 milliards de dollars de revenu, trois fois plus que le numéro un canadien en alimentation, Loblaw. Autrement dit, Lidl est un autre monstre du détail.
Depuis des années, Lidl exploite l’approche minimaliste au plus haut niveau en invitant les clients à sortir eux-mêmes les produits des boîtes d’expédition, réduisant ainsi l’effort de rouler le stock du détaillant. Le nombre d’employés en magasin se maintient au minimum. De plus, la taille moyenne d’un magasin Lidl ne dépasse guère 21 000 pieds carrés, une surface nettement plus petite que plusieurs supermarchés. Le magasin moyen n’a que six allées comparativement à plus de 20 dans certains cas. Les clients peuvent trouver ce qu’ils veulent en un rien de temps. La confusion des marques, saveurs et quantités offertes n’existe pas chez Lidl puisque dans 90 % des cas, seule la marque maison de Lidl se retrouve en tablette. Le minimum au minimum, tandis que le concept expérientiel est complètement omis.
Lidl traite la notion du gaspillage avec art, ce qui contribue grandement à son succès. Les magasins utilisent beaucoup la lumière naturelle, rendant ainsi ses établissements moins énergivores que ceux de ses concurrents. Il y a peu d’espace pour l’entreposage, la gestion ne requiert à peu près pas de papier et la manipulation des produits limite les pertes, surtout pour les fruits et légumes. Il ne faut pas s’attendre à voir de belles pyramides de tomates ou de pommes chez Lidl, au contraire l’entreprise étale son offre afin de standardiser le temps-tablette de ses produits.
Mais ce qui surprend le plus chez Lidl est sa section des surprises. À côté des carottes ou des navets, Lidl vous offre des aspirateurs, des tapis, ou même des kayaks gonflables à des prix ridicules. On se croirait à une vente-débarras au beau milieu d’un supermarché de seconde classe. Un ménage bizarre peut-être, mais ce modèle fonctionne pour Lidl depuis des décennies.
Bien que Lidl ait eu du succès en Europe, l’Amérique demeure un territoire inconnu pour le géant allemand. Il sera intéressant de voir à quel point son approche fonctionnera de ce côté-ci de l’Atlantique. Jusqu’à maintenant, Lidl a fait preuve de prudence. Depuis plus d’un an, l’entreprise valide certaines stratégies par l’entremise d’un magasin-pilote aux États-Unis. Pour le Canada, les plans se font attendre. Il y a fort à parier que le fiasco de la transaction Sobeys-Safeway et les marges bénéficiaires qui peinent à augmenter pour tout le monde en distribution alimentaire ont calmé les ardeurs des deux géants allemands, Aldi et Lidl. Mais les rumeurs persistent.
Chez nous, Amazon et même Aldi se font déjà menaçants depuis déjà un certain temps. Pour ces deux entreprises déjà bien implantées chez nos voisins du Sud dans le domaine alimentaire, Lidl risque de brasser les cartes durant les prochaines années. Pour le Canada, l’establishment de la distribution alimentaire, composé des trois grands : Loblaw-Provigo, IGA-Sobeys et Metro, sera mis à l’épreuve. L’arrivée de nouveaux joueurs pourrait offrir aux Canadiens de meilleurs prix. On le voit déjà dans certaines régions où l’on retrouve plusieurs nouveaux magasins Aldi et Lidl. Les prix diminuent puisque les marchands se défendent et tentent de maintenir leur part de marché. C’est une question de survie.
Avec l’arrivée d’un nouveau joueur au Canada, il est fort probable de voir à nouveau une autre guerre de prix. Mais chasseurs d’aubaines, ne retenez pas votre souffle. Ce n’est pas pour demain.
Dr. Sylvain Charlebois, Dean
Faculty of Management
Professor in Food Distribution and Policy
Faculty of Management
Faculty of Agriculture