Produire de la viande en laboratoire est peut-être la solution, mais la recherche doit continuer afin d’éclaircir nos esprits. Entre temps, la dernière chose qu’il faut faire c’est d’exclure le consommateur du débat.
PAR SYLVAIN CHARLEBOIS
Professeur en distribution et politiques agroalimentaires
Université de Guelph, Ontario
Trente ans après que le monde a vu naître le premier bébé éprouvette, nous avons maintenant le « steak éprouvette ». Un chercheur hollandais, Mark Post, a récemment partagé avec la presse un moment historique en dégustant un steak artificiel assaisonné de sel et de poivre, tout au plus. Bien qu’il faille du sérum animal pour produire une telle viande, l’animal comme tel est une variable pratiquement inexistante dans le processus de production de viande artificielle comme celle prescrite par l’équipe de Mark Post. Ce genre de produit soulève bien sûr des questions de nature éthique. Par contre, étant donné que la population mondiale risque de dépasser le cap du 9 milliards d’ici 2050 et que notre consommation de viande ne cesse d’augmenter, la problématique de la sécurisation alimentaire nous oblige à discerner certaines pistes de solutions transformationnelles pour notre planète.
Inévitablement, fabriquer de la viande en laboratoire intrigue et fascine. Le nombre toujours grandissant de consommateurs concernés par le traitement éthique envers les animaux pourrait y voir un compromis intéressant. Certaines études vont jusqu’à suggérer qu’un groupe de végétariens qui préfèrent ne pas manger de la viande pour des raisons éthiques pourrait même changer d’idée.
L’environnement est une autre raison qui rend l’idée de la viande artificielle méritoire. D’ailleurs, des études suggèrent que les systèmes de production de viande contribuent au réchauffement climatique en raison des émissions de méthane, un gaz vingt fois plus puissant que le dioxyde de carbone émis par nos voitures. Selon la Food and Agriculture Organization, un organisme supporté par les Nations unies, l’élevage serait responsable de 18 % des émissions de gaz à effets de serre. Ce chiffre varie d’un pays à l’autre, mais c’est un seuil qui inquiète outre mesure.
Certes, l’avènement de la viande artificielle crée un malaise chez les associations de production agricole traditionnelle. Quelques questions demeurent sans réponses. D’abord, il est difficile de comprendre à ce stade-ci comment les instances gouvernementales qualifieront ce genre de produits dans le cadre d’un guide alimentaire national reconnu. Les vertus nutritionnelles d’une telle viande par rapport à la viande traditionnelle, ou même avec d’autres produits alimentaires restent à mesurer.
L’aspect rassurant dans tout cela est que le débat préliminaire lié à un autre modèle biotechnologique inclut le consommateur. C’est en soi une approche rafraîchissante. Avec les OGM, les compagnies comme Monsanto et Bayer avaient complètement exclu le consommateur dans leur stratégie de mise en marché. Ce n’est qu’après quelques décennies que les consommateurs se rendaient compte à quel point la production céréalière mondiale avait changé, tout cela à leur insu.
Une problématique majeure avec ce type de viande demeure le coût de production. Le prix du steak de Mark Post a coûté pas moins de 300,000 $ CAN. C’est un coût prohibitif. Le groupe hollandais a précisé que le second lot devrait être plus abordable et que sa production industrielle devrait permettre au produit d’être accessible financièrement à un grand nombre de consommateurs.
Reste que, dans un avenir plus ou moins rapproché, il va falloir se questionner sur le rapport que les humains ont avec la culture de la viande en général. La crise de la vache folle et la plus récente épopée de la viande chevaline en Europe nous ont fait réfléchir sur la crise de la protéine qui sévit sur le monde agroalimentaire. Produire de la viande en laboratoire est peut-être la solution, mais la recherche doit continuer afin d’éclaircir nos esprits. Entre temps, la dernière chose qu’il faut faire c’est d’exclure le consommateur du débat.