LA CHINE FAIT UN VIRAGE À « DROITE » EN AGRICULTURE

« Pour nous, les Occidentaux, ces réformes signifient la fin éventuelle d’une période où les produits qui proviennent de la Chine étaient très abordables. En soi, pour la santé des humains et de notre planète, c’est un scénario qui est honnêtement souhaitable. »                                          

 Sylvain Charlebois, Université de Guelph

Fidèle à lui-même, le Parti communiste chinois a publié un communiqué avare de détails au terme d’un plénum très attendu la semaine dernière. En effet, ce fut le troisième plénum sous le règne du présent secrétaire général, Xi Jinping, et du Premier ministre Li. Les attentes étaient très élevées à l’instar des dernières réformes qui ont connu beaucoup de succès depuis quelques décennies. Désormais, on semble vouloir miser davantage sur une réforme agraire d’importance pour l’agriculture du pays. Malgré le manque de détails, ce changement de ton, à Pékin, marque non seulement le début d’une ère historique pour la Chine, mais aussi le risque de bouleversement du monde agroalimentaire par les réformes.

Actuellement, en Chine, les producteurs agricoles n’ont aucun droit de propriété. Leurs terres appartiennent à l’État. Toutefois, la situation pourrait changer au cours des prochaines années. En effet, en accordant ce droit précieux aux agriculteurs, la taille moyenne des fermes, en Chine, risque d’augmenter de façon significative. De plus, les quelque 230 millions d’habitants qui, depuis les dix dernières années, ont quitté les régions pour s’établir en villes, auront accès à des actifs pour acheter une résidence dans un centre urbain et ainsi contribuer à une économie de consommation qui prends tranquillement son envol. Une nouvelle réforme agraire passe donc par la reconnaissance légale des droits d’usage sur les terres rurales. L’enjeu est d’offrir aux agriculteurs une richesse suffisante pour réussir leur mobilité volontaire, couplée de droits équivalents à ceux des résidents des villes où ils vont s’établir.

Bref, ce changement est absolument nécessaire. Les fermes chinoises sont loin d’être performantes. En effet, si l’on compare les fermes de la Chine avec celles du Canada, le contraste est frappant. Au Canada, un hectare de terre produit en moyenne le double de la production chinoise. Bourrée de fermes paysannes, la Chine manque de ressources, notamment l’accès à de l’engrais abordable, à une technologie agricole performante ainsi qu’à des revenus d’appoints de l’État qui, souvent, font toute la différence. De surcroit, pour s’assurer d’une sécurité alimentaire décente, la Chine est maintenant le plus grand acheteur de grains américains, achetant ainsi plus de 35 milliards de dollars canadiens de denrées agroalimentaires chaque année; une dépendance qui dérange à Pékin. Bien que la Chine détienne à peine 10 % des terres arables mondiales et plus de 22 % de la population, l’autosuffisance est un enjeu crucial pour ce pays qui a souvent souffert de la famine. On doit donc inciter les fermiers à produire davantage et de façon durable.

En se promenant en ruralité chinoise, le manque de responsabilisation environnementale crève les yeux. L’érosion des sols, la pollution atmosphérique et la contamination embarrassante des nappes phréatiques créent davantage un malaise chez les Occidentaux, puis les Chinois le savent. Par ailleurs, puisque le scandale du lait contaminé par la mélamine les hante toujours, la question de la salubrité alimentaire demeure un enjeu important. Ces besoins sont criants et l’agriculture chinoise doit agir avant qu’il ne soit trop tard.

En principe, le plus récent plénum a vu le gouvernement chinois exprimer le désir de laisser le marché jouer un rôle décisif pour plusieurs secteurs économiques, incluant celui de l’agriculture. Depuis quelques années, l’intelligence collective, que montre le pays le plus peuplé de la terre, ne doit pas être sous-estimée. En considérant son palmarès, la Chine réalisera vraisemblablement ses vœux, au moment opportun qu’elle juge propre à elle. Pour nous, les Occidentaux, ces réformes signifient la fin éventuelle d’une période où les produits qui proviennent de la Chine étaient très abordables. En soi, pour la santé des humains et de notre planète, c’est un scénario qui est honnêtement souhaitable.

Dr. Sylvain Charlebois
Professor/Professeur Titulaire
Food Distribution and Policy/
Distribution et Politiques Agroalimentaires

Associate Dean/Vice Doyen

College of Management and Economics/
Collège en Management et Études Écononomiques

University of Guelph/Université de Guelph

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