De la crème glacée pour faire le plein de légumes. Une réalité improbable ? Pas pour Rahilatou Garba, fondatrice de Veraudace. Coup d’œil sur une jeune entreprise qui n’a pas froid aux yeux.
L’idée de produire des sorbets et crèmes glacées sans lait, entièrement faits de légumes bio, 100 % naturels et végans voit le jour en 2008 dans un projet de groupe lors de la maîtrise en science, industrie alimentaire et nutrition qu’elle poursuit en France. « Le professeur nous a « challengés. » Nous devions créer quelque chose qui n’existait pas alors. Offrir des crèmes glacées à base de légumes qui seraient aussi une solution de rechange pour les personnes diabétiques, ça a suscité des doutes. On s’est fait dire que ce n’était pas très viable, mais nous avons persisté. Nous avons testé nos produits avec des versions salées, puis sucrées avec stévia, mais les saveurs n’étaient pas encore au point.
En février 2013, Rahilatou Garba, d’origine sénégalaise, immigre au Québec. Elle commence à travailler, mais rapidement l’appel de son projet la tenaille. Issue d’une famille d’entrepreneurs, elle n’a évidemment pas l’intention de lâcher le morceau et retourne à ses crèmes glacées. « J’ai toujours cru en ce projet, je savais qu’un jour cela porterait ses fruits. Tout le monde me disait, au Québec, c’est l’hiver six mois par année, tu vas les vendre quand tes produits ?»
En décembre de la même année, plus convaincue que jamais de réussir, la jeune entrepreneure, qui a aussi des enfants en bas âge, fonde Veraudace. Elle suit une formation en lancement d’entreprise, s’inscrit au CLD de son quartier à Montréal-Nord et se prépare pour l’été qui vient. Le budget est serré, il faut tout faire soi-même. « Je ne pouvais pas me permettre les camps de jour, je dois garder les enfants, fabriquer et vendre mes glaces en même temps. Nous allions au Marché des possibles et ailleurs dans quelques endroits publics pour tester mes produits. Je faisais des dégustations et j’en profitais pour en vendre aux intéressés. Au début, je ne disais pas que c’était des glaces aux légumes, les couleurs pouvant aisément ressembler à celles des fruits. Cela m’a permis aussi de tester la congruence des couleurs de mes produits sur le terrain. »
En 2015, à bout de souffle, manquant cruellement de financement, la femme d’affaires choisit de mettre ses opérations en veilleuse. Avec l’aide d’une partenaire entrepreneure formée en finance — devenue depuis associée minoritaire dans l’entreprise — , elle en profite pour redéfinir ses cibles et repenser le design de son emballage, l’image de sa marque.
En 2017, la fondatrice relance la production et la vente de ses produits, une gamme de 5 parfums : concombre, poivron rouge, poivron jaune, courge butternut et carotte. La magie opère et l’engouement est de nouveau au rendez-vous.
Hébergée dans un local à l’École hôtelière Calixa-Lavallée, Rahilatou Garba explique que le secret de fabrication entourant ses recettes constitue un enjeu lorsque vient le temps de se faire aider dans le temps fort de production. « Je dois me faire aider pour une partie de la production mais, pour le moment, c’est encore moi qui assume la plus grande part du procédé. Je fais appel à des stagiaires, j’ai aussi quelques employés en pleine saison. »
Au chapitre des coûts de sa production, faite de légumes frais et biologiques, la présidente estime que son coût de revient se situe environ à 5 $ pour le pot de 473 ml, et ce, sans compter les inclusions, comme les frais de local, de stockage, la main-d’œuvre occasionnelle. « Ce n’est pas un schéma d’affaires qui permet de déterminer un prix de revient exact. C’est un prix actuel, en sachant que celui-ci peut être amélioré. Le nombre de pots n’est pas suffisant pour abaisser mes coûts. Je ne peux pas fixer mon prix en fonction de mes coûts réels. Mais nous gardons espoir de pouvoir bientôt augmenter nos volumes dans un nouveau local et de réduire sensiblement nos frais. »
Les produits Veraudace, qui ont fait fureur en début d’année à l’Expo manger santé et vivre vert de Montréal, sont actuellement disponibles à la boutique Folie en vrac, la Fromagerie Atwater, le Gourmet et d’autres petits points de vente. Les produits Veraudace sont achetés par les boutiques à 6 $ le pot de 500 ml et sont vendus sur les tablettes à 9, 49 $. « Bien sûr, ils se tapent la marge que moi je ne prends pas. C’est normal, j’aurais une boutique et je ferais certainement la même chose. Lorsqu’on faisait les marchés, en 2014 et l’été dernier, malgré le coût de la location de l’espace, c’était plus payant parce qu’on avait toute la marge. Mais les boutiques, c’est un engagement et on ne peut pas se permettre de faire une livraison groupée parce que notre voiture n’est pas réfrigérée. Si on doit la louer, ce sont d’autres frais qui s’ajoutent et la facture grimpe encore davantage si on loue les services d’un livreur avec un camion réfrigéré. »
Si la période des Fêtes n’est pas nécessairement reliée à la crème glacée, la présidente de Veraudace souhaite profiter de ce temps d’achalandage pour valider la réception de sa gamme de produits. « Après l’Expo au Palais des congrès, nous avons été approchées par des grandes chaînes de boutiques, qui nous demandaient de produire et de livrer 300 pots par semaine et par boutique partout au Québec. Malheureusement, nous n’avons pas la possibilité de produire de tels volumes pour l’instant. »
Veraudace, qui travaille actuellement à la recherche et au développement d’autres produits spécialisés et de niche, souhaite pouvoir éventuellement faire aussi son entrée dans le marché institutionnel. De nouveaux projets audacieux à surveiller et qui ne manqueront assurément pas de faire parler d’eux.
Les défis ? Pour l’heure, les choses vont bien pour la petite entreprise. Installée dans un local qu’elle loue pour produire ses glaces, la fondatrice de Veraudace souhaite dans la prochaine année trouver un espace plus vaste qui permettrait de produire davantage et stocker plus de crèmes glacées. « Il nous faudrait un minimum de 25 000 $ comme levier. Une fois cette stabilité acquise, la livraison par location sera plus rentable et la business va rouler. Le matériel aussi est un défi, mais celui que nous possédons nous permet déjà une bonne production. L’autre grand enjeu est d’assurer la production et de protéger les secrets de fabrication. »