LIBRE-ÉCHANGE CANADA-EUROPE : DEVANCER LES AMÉRICAINS

« En Europe, le traité servira vraisemblablement à solder une entente avec les Américains. Pour le Canada, il était donc favorable pour notre secteur agroalimentaire de s’entendre avant les États-Unis, puisque notre accord de libre-échange servira de référence pour une deuxième entente transatlantique et au lieu de suivre les Américains et de s’y adapter, ce sont eux qui le feront. »

                                                    Sylvain Charlebois, Université de Guelph

Devancer les Américains

Depuis que l’entente de principe entre le Canada et l’Union européenne est signée, plusieurs ont réagi, et ce, même si tous les détails ne sont toujours pas connus. Selon les informations obtenues, l’accord de libre-échange avec l’Europe dépasse largement les attentes du monde agroalimentaire canadien. Dès le début des négociations, le gouvernement du Canada, en incluant les provinces, évite les remous qu’a créés la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain en 1988. Toutefois, comme c’est le cas avec les accords multilatéraux, certaines filières y gagneront plus que d’autres.

En effet, cet accord représente un véritable coup de maître pour le gouvernement Harper. D’abord, pour l’agriculture, toujours un point sensible lors de négociations à l’internationale, l’entente résulte que 95 % des barrières tarifaires disparaitront, et ce, dans les deux sens. Ainsi, les céréales, les oléagineux, le sirop d’érable, les produits maraîchers et plusieurs autres produits agroalimentaires seront exempts de tarifs vers l’Europe. De plus, pour les producteurs bovins et porcins, l’augmentation des quotas à l’importation pourrait représenter des gains qui dépassent le milliard de dollars. Avec une harmonisation des normes et des réglementations dans le domaine agroalimentaire, ces deux filières en ont grandement besoin.

Quant aux laitiers, la semaine dernière, durant la lecture du discours du trône, cette annonce a pris le secteur par surprise et dérange énormément. En effet, nettement préoccupés par l’augmentation du quota de fromages fins européens à l’importation de plus de 17 000 tonnes, les producteurs laitiers ont réagi avant même le départ de monsieur Harper en Europe la semaine dernière. Cette augmentation créer une minuscule brèche dans notre système de quotas protectionnistes en ce qui concerne la production de lait et du fromage fin, en Ontario et au Québec. Ces provinces sont en droit de s’inquiéter et de demander de l’aide pour les entreprises affectées par le traité.

Toujours, dans le même ordre d’idées, un sentiment d’inquiétude est également palpable dans le secteur vinicole, soit un secteur important en Ontario et en Colombie-Britannique. Ainsi, l’entente mettra fin au coût de service qui s’appliquait sur les vins européens, offrant ainsi aux consommateurs canadiens des vins importés moins dispendieux.

D’ailleurs, il faut reconnaitre que certains secteurs agroalimentaires Européens sont fortement subventionnés comparativement à nous. Monsieur Harper, pour sa soutenance, offre aux secteurs affectés, une forme de programme de stabilisation des revenus. Ces programmes devront d’abord reconnaitre l’esprit novateur de nos entrepreneurs en appuyant le développement de nouveaux produits et de nouveaux marchés. De simplement compenser ces industries pour les pertes liées à l’accord de libre-échange canado-européen serait aussi difficile à mesurer que stratégiquement futile.

Somme toute, l’accord permettra à la gestion de l’offre de survivre, donc un système précieux pour le Québec et l’Ontario. Par contre, à l’instar de cette entente, qui prendra près de deux ans avant d’être officiellement ratifiée, la prochaine manche de négociations multilatérales, pour le Canada, se fera avec le Partenariat transpacifique. Selon toutes vraisemblances, ces négociations forceront le Canada à faire des concessions encore plus importantes. Ainsi, l’agriculture, notamment ce qui concerne la gestion de l’offre, telle qu’on la connait, pourrait vivre une réforme importante. Bref, même si c’est une question de temps, ces changements pourraient prendre quelques décennies avant de mettre tout en œuvre.

D’ici quelques années, en Europe, où le climat politique et économique est davantage fragilisé que le nôtre, le traité servira vraisemblablement à solder une entente avec les Américains. À ce moment, il est fort probable que le secteur de la transformation alimentaire, dans l’Est du Canada, perçoit des gains substantiels. Aussi, une plus grande fluidité frontalière, entre l’Europe et les États-Unis, permettra à notre secteur de la transformation alimentaire de bénéficier d’un plus grand flux de capitaux et d’une plus grande harmonisation des normes liées au domaine alimentaire. Pour le Canada, il était donc favorable de s’entendre avant les États-Unis, puisque notre accord de libre-échange servira de référence pour une deuxième entente transatlantique et au lieu de suivre les Américains et de s’y adapter, ce sont eux qui le feront. Ainsi, pour le Canada, notamment pour le secteur agroalimentaire, c’est une grande victoire.

Dr. Sylvain Charlebois
Professor/Professeur Titulaire
Food Distribution and Policy/
Distribution et Politiques Agroalimentaires

Associate Dean/Vice Doyen

College of Management and Economics/
Collège en Management et Études Écononomiques

University of Guelph/Université de Guelph

Office of the Dean
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