L’achat de Safeway n’a pas étonné personne : ce n’était simplement qu’une question de temps. Par contre, avant la semaine dernière, il était difficile de prévoir qui allait acheter le distributeur albertain, qui compte plus de 200 magasins à travers le Canada. Selon toute vraisemblance, Sobeys, le numéro 2 en alimentation au pays, sera le propriétaire de Safeway d’ici l’automne. À l’instar de cette transaction par Sobeys, une mouvance vers une plus grande concentration de la distribution alimentaire au Canada ne serait pas surprenante. Il n’est pas improbable de voir d’autres transactions au cours des prochains mois.
PAR SYLVAIN CHARLEBOIS, vice-Doyen, Recherches et Études Supérieures Collège en Management et Études Économiques Université de Guelph
Loblaws, le plus grand distributeur canadien, ainsi que Metro, qui se situe présentement au troisième rang, sortent grands perdants de la chasse pour Safeway. La seule bannière québécoise, Metro, a manqué une occasion d’étendre ses activités vers l’Ouest canadien. Puisqu’il est énormément difficile d’augmenter ses ventes dans le domaine alimentaire, la diminution des coûts d’exploitation demeure une priorité pour l’ensemble de l’industrie. Pour ce faire, Metro pourrait être tentée d’acheter Overwaitea, un marchand privé de l’ouest réputé pour son expertise dans le domaine du développement durable. Dans la même veine, plusieurs s’attendent à ce que Metro réplique avec un achat de Jean Coutu, le géant québécois des pharmacies franchisées, quoiqu’il soit bien improbable que cela se fasse.
Certes, avec ce revers, Metro réexamine ses options. Entre-temps, Walmart et Costco prennent de plus en plus de place sur le marché national. Quant à Target, la chaîne de magasins à grande surface, qui a une entente de distribution alimentaire avec Sobeys, elle rentrera sur le marché québécois sous peu et augmentera son emprise sur un marché historiquement dominé par Metro.
La distribution alimentaire en Occident est en constante mutation, et le Canada ne fait pas bande à part. Les effets démographiques et économiques défavorables à une croissance forcent les entreprises à considérer de nouvelles stratégies pour augmenter leur empreinte sur le marché. Avec le Québec qui vieillit, l’achat d’A&P par Metro en 2005 fut un coup de maître. Cet achat a permis à Metro d’avoir accès au marché ontarien, en pleine expansion. Depuis, le contexte alimentaire canadien a bien changé. En plus d’un climat économique difficile à prévoir, les marchands doivent offrir de meilleurs produits à moindre prix, tout en assurant une salubrité sans faille.
Pour ajouter au casse-tête de Metro, l’achat alimentaire en ligne fait aussi des vagues, ces derniers jours, en raison du déploiement agressif d’Amazon aux États-Unis. Malgré la panoplie d’échecs durant l’ère du point-com au début des années 2000, c’est un phénomène qui prend de l’ampleur. Au Canada, il n’existe qu’une seule compagnie qui se voue entièrement à l’achat en ligne, mais le modèle d’affaires qui permet à une entreprise de vendre des produits alimentaires en ligne est difficile à développer. Nous vivons dans un vaste pays et la capacité logistique nécessaire pour supporter l’achat alimentaire en ligne représente un défi de taille. Par contre, la stratégie d’Amazon pourrait déranger au nord du 49e parallèle.
Somme toute, si le Québec aspire à adopter une véritable politique de souveraineté alimentaire efficace, la Belle Province devra réfléchir sérieusement sur l’accès des produits pour les consommateurs. L’architecture du commerce de détail en est pour quelque chose. La grande majorité de la population achète ses aliments chez les grands détaillants tels que Loblaws-Provigo, Metro, Sobeys-IGA et Walmart. En effet, plus de 90 % des ventes d’épicerie au pays sont effectuées chez les grandes bannières. L’achat dans les marchés publics et boutiques spécialisées ne représente qu’une petite partie de l’ensemble du marché, puisque les consommateurs recherchent, la plupart du temps, l’accès pratique et des prix abordables.
Si Metro échoue à se positionner en tant que joueur qui mise sur une stratégie expansionniste, l’entreprise québécoise risque de tomber entre les mains d’une autre entreprise étrangère. À bien y penser, si le gouvernement québécois considère Rona comme un actif stratégique pour le Québec, il est difficile de croire qu’on arrivera à une différente conclusion concernant Metro.