« Métro marche à son propre rythme et se crée des occasions au lieu de concurrencer directement les grands. Mais la menace que représentent les non traditionalistes de l’alimentation obligera Métro à faire autre chose. »
SYLVAIN CHARLEBOIS, Doyen de la Faculté en Management, Professeur en Distribution et Politiques Agroialimentaires, Université Dalhousie.
Selon toutes vraisemblances, le Québec perdra un fleuron du commerce de détail. Les Pharmacies Jean Coutu deviennent la propriété de Métro, le numéro deux en alimentation au Québec. Après des années d’hésitation, Jean Coutu concède et permet à Métro d’acquérir son entreprise dont les valeurs familiales créent le point d’ancrage pour tout, vraiment tout. Quatre des cinq enfants de Jean Coutu siègent sur le conseil d’administration. Métro demeure donc un joueur régional. Or, l’entreprise démontre malgré tout son instinct de créer, son désir de se redéfinir pour une demande en mutation au lieu de jouer le même jeu que ses concurrents.
A priori, certains ont mentionné que Métro imite Loblaw avec son achat de Shoppers/Pharmaprix en 2013. Pas tout à fait. La motivation de Loblaw d’acheter la grande chaîne de pharmacies décrivait sa volonté d’étendre son réseau pour offrir une plus grande plateforme à sa marque chérie, Le Choix du Président. Le programme de loyauté chez Shoppers/Pharmaprix a aussi intéressé Loblaw, mais depuis la transaction, on a transformé ces magasins pour laisser plus de place aux marques Loblaw. Pour Métro, le scénario diffère quelque peu.
Chez Métro, le marché québécois compte d’abord et avant tout. Contrairement aux colosses de l’alimentation au Canada tels que Loblaw et Sobeys qui ont carrément avalé les grands joueurs Shoppers/Pharmaprix chez Loblaw et Safeway chez Sobeys ces dernières années, Métro cumule de plus petites transactions. Adonis en 2011, Première Moisson en 2014, MissFresh plus tôt cette année, et maintenant les Pharmacies Jean Coutu. Bien sûr, cette dernière acquisition d’une valeur de 4,5 milliards de dollars représente le plus grand coup pour Métro depuis l’achat des supermarchés A&P en 2005. Mais cette fois-ci, Métro ajoute plus de 400 magasins qui maîtrisent bien le marché québécois et élargit son empreinte sur le marché du Québec de façon significative. Rappelons que Métro possède déjà la chaîne Brunet qui compte environ 200 magasins.
En définitive, l’achat de Jean Coutu est un bon coup, pourvu que l’entreprise soit en mesure d’exécuter son intégration en collaboration avec les franchisés chez Jean Coutu, une partie jamais gagnée d’avance.
Le parcours de Métro se révèle fort intéressant dans la perspective où l’entreprise profite des tendances et s’ajuste par coup d’acquisition. D’abord, Adonis mise sur l’ethnicité accrue de la mosaïque alimentaire au Québec. Immigrants, ou citoyens venus d’ailleurs qui veulent se retrouver dans l’un de nos supermarchés, se sentent chez eux dans un magasin Adonis. Les acquisitions de Première Moisson et MissFresh rapprochaient Métro des Millénaux, qui consomment souvent sur le pouce, sans faire de compromis sur la qualité. L’acquisition de MissFresh démontrait que Métro pouvait faire preuve d’humilité. Le secteur du Prêt-à-cuisiner reste un domaine méconnu pour l’ensemble des géants de l’alimentation, incluant Métro. Au lieu de développer ce créneau et faire des erreurs, Métro a cru bon d’acheter l’expertise nécessaire pour réussir, rapidement.
Chez Métro, on s’ajuste et on s’adapte à une demande en transition pour satisfaire un autre segment important. Le Québec vieilli, donc devenir propriétaire de plus de 600 pharmacies se conjugue bien avec une clientèle vieillissante qui a une demande accrue pour des soins de santé et des médicaments. Et puisque Jean Coutu est verticalement intégré et fabrique ses propres médicaments, le contrôle de la qualité et des marges devient pratiquement un jeu d’enfant.
L’aspect pharmaceutique de cette transaction revêt un aspect très fascinant pour Métro. Imaginez, la marijuana deviendra légale d’ici quelques mois au Canada. Mais d’ici quelques années, l’ère prohibitionniste de la marijuana se terminera sûrement et le secteur privé aura possiblement droit à sa chance de distribuer le produit. Pour l’instant, seules les sociétés d’État ont le droit d’en vendre, mais tout cela changera. Ce n’est qu’une question de temps. Avec ses magasins Jean Coutu et Brunet, Métro sera en mesure d’exploiter le monde risqué du pot. En sachant chez Métro que la légalisation de la marijuana rend plusieurs consommateurs perplexes, l’entreprise pourra un jour prendre avantage de ce marché sans compromettre l’image de sa marque comme épicier responsable. Loblaw y travaille déjà avec Shoppers/Pharmaprix.
En somme, Métro par ses acquisitions, désire créer une valeur ajoutée pour ses actionnaires, une sage décision. La véritable menace, Walmart, Costco et bientôt, Amazon, force Loblaw et Sobeys à jouer le jeu des grands. Métro marche à son propre rythme et se crée des occasions au lieu de concurrencer directement les grands.
Mais la menace que représentent les non traditionalistes de l’alimentation obligera Métro à faire autre chose. Métro demeure, d’abord et avant tout, un joueur vulnérable. Mais compte tenu du palmarès des acquisitions de Métro ces dernières années, il ne serait pas surprenant si les cadres du géant québécois planifiaient déjà leur prochaine transaction.