Par Patrick Cappelli
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La start-up InnovaFeed veut réduire la dépendance européenne en matière de protéines pour animaux grâce aux larves d’insectes.
Des larves de mouches (Hermetia illucens ou mouche « soldat noir ») pour nourrir poissons, oiseaux et petits mammifères : c’est l’activité d’InnovaFeed, start-up créée en 2016 par des anciens du cabinet McKinsey.
« L’idée est d’apporter des nouvelles solutions d’économie circulaire dans l’industrie agroalimentaire » explique Clément Ray, un des quatre co-fondateurs. Un besoin de protéines identifié comme critique dans les années à venir par la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture). Un marché global considérable et en plein développement, évalué à 500 milliards de dollars par la FAO, dont 30 à 50 milliards pour les protéines d’insectes. Or, l’Europe importe 70 % de ces protéines.
Depuis le 1er juillet 2018, l’Union européenne a autorisé les fermes aquacoles à nourrir leurs poissons avec des protéines issues de larves d’insectes. « Plus de 400 millions d’euros ont été levés dans le monde pour cette industrie émergente dont nous voulons devenir le leader » affirme Clément Ray. Pour atteindre cet objectif ambitieux, InnovaFeed a séduit deux fonds d’investissement spécialisés dans les AgTechs, Temasek (le fonds souverain de Singapour fort de 275 milliards de dollars) et le fonds français Creadev, propriété de la famille Mulliez (Auchan). Deux fonds auprès de qui InnovaFeed a levé 55 millions d’euros en deux tours. Des partenaires précieux pour développer cette filière dans la durée et conquérir les marchés étrangers.
Une autre start-up française, Ÿnsect, lui dispute ce leadership, avec une récente levée de 125 millions de dollars pour développer sa solution à base de scarabées Tenebrio Molitorn appelés aussi vers de farine. Deux start-up qui pourraient devenir les championnes d’une nouvelle filière durable : une bonne nouvelle pour l’industrie agroalimentaire française.
Le plus gros site de production mondial
InnovaFeed, dont le siège est à Paris, emploie une soixantaine d’employés et possède deux sites : l’usine pilote de Gouzeaucourt près de Cambrai (Hauts-de-France) inaugurée fin 2017, qui valorise sur 3 000 m2 les coproduits agricoles locaux pour l’élevage d’insectes, et le site en construction de Nesle dans la Somme, en partenariat avec l’amidonnerie Tereos, qui devrait être selon Clément Ray « le plus gros site au monde avec une capacité annuelle de production de 10 à 20 000 tonnes de protéines d’insectes ». Le centre de R&D, qui compte une vingtaine d’ingénieurs, est lui situé à Paris.
Bpifrance participe au développement de la jeune pousse avec des programmes de financement pour la R&D et des prêts d’investissement dans l’outil industriel. Pour Clément Ray, la French Fab est une initiative très positive, ce qui ne l’empêche pas d’alerter les décideurs sur les freins inhérents à la réglementation française : « la French Fab représente une vraie ambition pour que la France retrouve un leadership industriel. C’est important car le mouvement met en avant notre écosystème, qui rassemble des gens bien formés aux compétences reconnues. Mais il existe également chez nous des contraintes administratives plus fortes que dans d’autres pays européens, malgré un soutien des pouvoirs publics ». InnovaFeed mise sur l’innovation et des technologies pointues dans la biologie, l’intelligence artificielle, l’automatisation pour assurer son développement. Et aussi en innovant dans le modèle lui-même : comment récupérer la biomasse qui va nourrir les insectes ? Comment structurer ce marché naissant ?
Des métiers qui ont du sens
Pour relever ces défis, InnovaFeed continue de recruter : « notre réussite est intimement liée aux talents qui viennent nous rejoindre : techniciens, opérateurs, ingénieurs ». Lui même ingénieur diplômé de Centrale Paris et de la Columbia University, Clément Ray mise sur la nature éco compatible de son activité pour attirer des Millenials qui privilégient le sens au salaire : « de plus en plus, les jeunes diplômés choisissent un travail dont ils pensent qu’il peut être positif pour la planète ».
InnovaFeed participe à l’économie circulaire en utilisant comme matière première un écoproduit – les déchets revalorisés de l’industrie agro-alimentaire – et donc ne gâche pas de ressources naturelles. Par ailleurs, les déjections des larves, riches en nutriments, peuvent être réinjectées dans les terres agricoles en tant qu’engrais organiques biologiques. « Nous respectons le même cycle que celui de la nature, dans lequel les insectes accélèrent la décomposition de la biomasse, des fruits par exemple. Ensuite, nous extrayons les nutriments de cette biomasse qui vont nourrir oiseaux et poissons » précise Clément Ray. Cette source de protéines complémentaire permet aussi de réduire la pêche de poissons sauvages, qui sont transformés en farine pour nourrir les poissons d’élevage. Une pratique qui met en danger des ressources halieutiques qui sont déjà sous pression. « La raison d’être de la filière des insectes est d’accompagner la croissance de l’aquaculture pour répondre aux besoins de demain, alors que la consommation de poissons explose » conclut Clément Ray.