« Depuis 18 mois, pas moins de 15 dirigeants de multinationales agroalimentaires ont quitté leur poste. Les temps sont difficiles pour plusieurs marques bien connues et les choses ne changeront pas de sitôt. »
SYLVAIN CHARLEBOIS, Professeur en distribution et politiques agroalimentaires, Facultés de Management et d’Agriculture, Université Dalhousie.
La Descente aux Enfers des Multinationales
Les dirigeants des grandes multinationales de la transformation alimentaire tombent comme des mouches. Depuis 18 mois, à la lumière de piètre performance financière, pas moins de 15 dirigeants ont quitté la barre de leur entreprise. Peu de gens ignorent que les consommateurs boudent de plus en plus les grandes marques pour une panoplie de raisons. L’industrie peine à augmenter ses ventes et le manque d’imagination et de créativité crève les yeux.
Denise Morrison de Campbell est la plus récente victime. Nommée en 2011, elle a quitté son poste la semaine dernière. La liste des dirigeants ayant quitté leur entreprise comprend aussi John Bryant de Kellogg et Irene Rosenfeld de Mondelēz International. La grande majorité des PDG dans le secteur occupe leur poste depuis moins de trois ans.
Ces géants de l’agroalimentaire ont du mal à suivre les petites et moyennes entreprises qui perturbent le marché avec des idées novatrices et de nouveaux produits qui accrochent les consommateurs par leurs valeurs. Santé, environnement, éthique, tout y passe. En effet, les consommateurs qui se sentent abandonnés par les grands de l’alimentation découvrent un nouvel univers de petites entreprises qui pendant des années étaient étouffées par ces machines de marketing. Mais aujourd’hui, avec les médias sociaux tout devient possible. Alors, pour les multinationales, rester à l’affût des nouvelles tendances devient pratiquement impossible, à moins d’acquérir de petites entreprises ayant une approche qui diffère de la leur.
La direction de ces multinationales doit maintenant courir le risque de délaisser des marchés qu’ils ont jadis dominés. Prenons l’exemple de Campbell qui suite à l’impopularité de la soupe en conserve a dû penser autrement et instaurer une stratégie de croissance en créant de nouvelles catégories de produits. L’approche essai-erreur nécessite une patience qui n’existe tout simplement pas au sein des grandes entreprises. De plus, les consommateurs sont, la plupart du temps, sceptiques par rapport aux nouveaux produits lancés par les grands. Pour ces derniers, il devient difficile, voire impossible, de se distancer du passé. En revanche, les entreprises en démarrage ont de plus en plus accès à des capitaux pour soutenir leurs ambitions de recherche et de développement.
Surtout ces jours-ci, les grands de l’alimentation veulent éviter à tout prix le cimetière des marques : le centre du magasin. La majorité des consommateurs passent maintenant plus de temps en périphérie de l’épicerie où se retrouvent les produits frais. Depuis quelques années, les supermarchés tentent de développer des produits frais afin d’attirer un consommateur exigeant. Mais les résultats sont rarement satisfaisants.
La plupart des grandes entreprises ont lancé des programmes d’investissement et de démarrage : une division de capitaux de risque. Ces fonds permettent ainsi à de nouvelles idées d’émerger sans les contraintes d’un grand conglomérat. Campbell, PepsiCo, Coca-Cola, Mars et General Mills, entre autres, l’ont tous fait. Pour les démarreurs d’entreprise, ces fonds servent bien mais deviennent aussi un boulet psychologique pour plusieurs qui veulent se distancer des grands. Le processus de démarrage et le financement de ces projets doivent être gérés avec une délicatesse ahurissante.
Mais les multinationales subissent aussi les contrecoups du succès de leurs prédécesseurs. Pendant des années, elles avaient un pouvoir énorme de négocier l’espace occupé en magasin et mieux contrôler les stratégies de présentation sur les tablettes. Plus maintenant. Autant aux États-Unis qu’au Canada, les supermarchés maîtrisent mieux les règles du jeu et les marques privées ont fait toute la différence.
Ainsi, les grands de la transformation alimentaire connaissent des temps extrêmement éprouvants et leurs dirigeants font face à un dilemme frustrant. Celui d’acquérir une autre entreprise et prendre le risque d’être scruté à la loupe par les investisseurs, ou bien de laisser les choses aller et voir certaines marques vivre une mort lente et pénible. Puisque plusieurs composent avec des familles et des actionnaires allergiques aux risques, le changement s’instaure donc difficilement. Quitter le navire devient la voie la plus facile.
Il ne serait donc pas surprenant de voir le nombre d’acquisitions et de fusions augmenter d’ici les prochaines années. Mais les dirigeants continueront d’être les têtes de Turc pour la mauvaise performance du secteur.