Par Simon Dessureault
Voir ici-bas les grands titres traités dans cet article. Les points 1 à 3 se trouve dans l’article du magasine L’actualité ALIMENTAIRE Vol14.No3.
1) Les frais de référencement de l’ordre de 500 $ à 100 000$ par produit (Listing fees)
2) Over & Above (O&A) aussi nommé frais de programmes des chaînes
3) Les ententes nationales
4) Les frais de retard de livraison
5) Les frais de déchargement (Lumping fees)
6) Les frais de marchandises invendables (Unsalable merchandise fees)
7) Frais de collisions d’annonce (Ad Collision fees)
8) Frais de rupture de stock lors d’annonce en circulaire (Ad out-of-stock fees)
9) Les termes de paiement de 2 %/10 jours ou de Net 30 jours
10) Les périodes de gel de prix (Price freeze period)
11) Les conditions additionnelles de 1 %, 2 % et plus
Estimer le coût total de ses nouvelles pratiques commerciales
4) Les frais de retard de livraison
Les frais de retard de livraison sont souvent utilisés par les détaillants envers un fournisseur qui livre une commande plus tard que ce qui avait été convenu sur le bon de commande émis par le détaillant. Même si le retard est dû à un problème de transport, le détaillant pénalisera souvent le fournisseur en défaut. Et quand le fournisseur néglige d’informer le détaillant que la commande n’arrivera pas au moment prévu, des frais de retard de livraison de 500 à 1000 $ peuvent s’appliquer. Dans le cas où le fournisseur informe l’acheteur que la commande arrivera à une date ultérieure à ce qui avait été demandé, les frais de retard de livraison peuvent être de l’ordre de 200$ à 500$. Quant aux nouveaux fournisseurs, ils n’apprennent souvent l’existence de ces frais de retard de livraison qu’à la réception de leur paiement amputé d’une déduction à la source de 1000$.
Contrairement à la plupart des frais décrits précédemment, certains détaillants imposent aussi des frais de retard de livraison et ceux-ci peuvent être beaucoup plus élevés que ceux imposés par la majorité des chaînes de supermarchés.
5) Les frais de déchargement (Lumping fees)
Les frais de déchargement, communément appelé lumping fees ou unloading fees, peuvent représenter des sommes importantes payées par les fournisseurs pour décharger les marchandises au centre de distribution des grandes chaînes. Ces frais peuvent varier de 50$ à plus de 500$ par livraison, selon le nombre de palettes à décharger et le temps exigé pour faire le travail. C’est normalement le conducteur du monte-charge dans l’entrepôt du détaillant qui décharge les palettes de marchandises, mais il arrive maintenant que certains détaillants demandent au fournisseur de déposer la marchandise du camion sur le quai de déchargement. Le problème est que souvent les nouveaux fournisseurs ne sont pas informés de cette politique des détaillants. Plus encore, les fournisseurs ne sont pas équipés pour décharger un camion lors d’une livraison et dans ce cas, ils doivent payer un cariste, ou employé d’entrepôt, pour décharger la marchandise du camion au centre de distribution du détaillant.
Dans un autre ordre d’idées, les frais de déchargement, pour les fournisseurs, prennent souvent la forme de « frais d’attentes » aux centres de distribution des grands détaillants alimentaires. Il est bien connu dans l’industrie que chez les grands détaillants, les transporteurs peuvent faire la file et attendre deux, trois et quatre heures à bord de leur camion avant de pouvoir décharger leurs marchandises au centre de distribution du détaillant. Ces frais d’attente sont facturés par les compagnies de transport aux fournisseurs des supermarchés et peuvent représenter de 200$ à 400$ par livraison pour le temps d’attente du camionneur au centre de distribution.
6) Les frais de marchandises invendables (Unsalable merchandise fees)
Habituellement, le fournisseur doit rembourser le détaillant pour les marchandises invendables et ces produits sont alors jetés ou vendus à rabais par le détaillant. On observe maintenant que certains détaillants facturent aux fournisseurs, à presque toutes les commandes, des frais de marchandises invendables. C’est aussi rendu le cas avec des produits d’épicerie sèche dont la durée de vie, la résistance et la solidité de l’emballage ne sont même pas en cause. Une note est simplement envoyée au fournisseur par le détaillant et le total du montant des marchandises invendables est déduit du paiement. Ce montant s’élève souvent à 1 % et parfois jusqu’à 1.5 % des ventes annuelles des produits d’épicerie sèche d’un fournisseur.
7) Frais de collisions d’annonce (Ad Collision fees)
Les frais de collisions d’annonce (Ad collision fees) sont parfois facturés au fournisseur quand un détaillant constate qu’un compétiteur annonce dans sa circulaire le même produit et pour la même période. Ces types de frais sont plus récents que les autres frais présentés précédemment et ils s’appliquent principalement aux produits à grand roulement comme l’eau embouteillée, les jus et les boissons gazeuses vendues par les grandes entreprises du secteur alimentaire ou par les compagnies multinationales. Les frais de collisions d’annonce sont très variables, mais ils peuvent aller jusqu’à 50 000$.
8) Frais de rupture de stock lors d’annonce en circulaire (Ad out-of-stock fees)
Une autre pratique commerciale utilisée par les chaînes de supermarchés porte sur les frais de rupture de stock lors d’annonce en circulaire. Ces frais sont facturés lorsqu’un détaillant tombe en rupture de stock au moment de ce type de promotion. Par exemple, si un fournisseur tombe en rupture de stock du produit annoncé à rabais, le détaillant peut remplacer le produit annoncé par un produit similaire offert par un compétiteur direct au fournisseur en défaut d’inventaire. À la fin de cette promotion, le détaillant facture au fournisseur en défaut la différence entre le prix courant du produit du fournisseur compétiteur et le prix annoncé en circulaire. En d’autres mots, les frais de rupture de stock représentent pour le détaillant qui a remplacé un produit par un autre la différence entre le prix courant du produit substitut et son prix en rabais annoncé.
9) Les termes de paiement de 2 %/10 jours ou de Net 30 jours
(2 %/10 days or Net 30 days terms becoming a 2 % fees)
Les termes ou échéances de paiement sont habituellement de 2 % d’escompte lorsque le paiement est effectué en 10 jours ou le paiement net est exigé en 30 jours, mais il arrive que ce 30 jours devient souvent 60 jours ou même 90 jours. Ces retards de paiement pourraient être influencés en partie par des détaillants non traditionnels qui fonctionnent avec des termes de paiement standard de 90 jours. Pour les fournisseurs, des termes de paiement de 60 à 90 jours au lieu de termes de 30 jours signifient que le fournisseur finance le détaillant durant 30 à 60 jours. Cette pratique oblige les fournisseurs à utiliser des fonds autres que ceux provenant de leurs ventes pour financer leurs propres opérations.
Certains détaillants déduisent même le 2 % prévu aux termes de paiement, mais en payant dans un délai de 20 jours ou même de 30 jours. Ce problème provient du service de comptabilité du détaillant alors que le fournisseur transige avec le service de mise en marché. Pour des raisons pratiques, les fournisseurs canadiens trouvent qu’il est souvent long et fastidieux de résoudre ces problèmes de comptabilité. Dans le cas de certains d/taillants, il est difficile d’argumenter lorsqu’on doit communiquer avec un fax de leur bureau des comptes fournisseurs. Quand il faut attendre de 60 à 90 jours pour recevoir un paiement, c’est souvent parce que la requête du fournisseur se promène d’un employé à l’autre à leur siège social. Cela peut sembler un petit problème, mais pour plusieurs fournisseurs, c’est un irritant récurrent et coûteux.
10) Les périodes de gel de prix (Price freeze period)
Dans la dernière décennie, les périodes de gel de prix allant de septembre à janvier sont devenues une norme dans l’industrie alimentaire pour la simple et bonne raison que les chaînes de supermarchés ne veulent pas afficher de hausse de prix dans leurs magasins à l’approche de la période des fêtes. Au cours de l’été 2016, quelques d/taillants ont informé leurs fournisseurs qu’un gel de prix serait en vigueur de septembre à janvier 2017.
Par exemple, un détaillant a envoyé un communiqué en août 2016informant tous ses fournisseurs que l’entreprise n’accepterait aucune hausse de prix d’août 2016 à janvier 2017. Cela signifie qu’un fournisseur ayant reçu une augmentation de prix de ses ingrédients à l’automne, doit attendre jusqu’en février 2017 avant d’être en mesure de passer sa hausse de prix à ce détaillant. Il faut ajouter à cela que ce détaillant a aussi indiqué dans son communiqué qu’un préavis minimum de 12 semaines serait nécessaire pour annoncer une hausse de prix. Concrètement, cela signifie que le détailllant en question n’accepte aucune augmentation de prix depuis août 2016 et jusqu’à la fin de mai 2017, ce qui représente une période de près de neuf mois.
Outre ces cas de « période des fêtes » et de « préavis de 12 semaines », les détaillants peuvent prétexter un gel de prix pour d’autres raisons. Par exemple, en octobre 2012, un autre détaillant a envoyé une lettre à ses fournisseurs leur indiquant qu’aucune hausse de prix ne sera acceptée d’octobre 2012 à décembre 2013. La raison invoquée pour justifier cette période de gel de prix imposée était le coût de l’implantation d’un nouveau progiciel.
Ainsi, pour les transformateurs alimentaires, soutenir une augmentation de coûts qui peut durer souvent de quatre à huit mois sans être capable de la faire suivre à leurs clients peut devenir très onéreux et peut affecter négativement le profit annuel de leur entreprise.
11) Les conditions additionnelles de 1 %, 2 % et plus
Un exemple récent d’une condition additionnelle exigée par une chaîne de supermarchés qui a été imposée à ses fournisseurs à l’été 2016. Dans une lettre envoyée à ses fournisseurs, la plus grande chaîne de supermarchés du Canada a indiqué qu’elle commencerait à appliquer une déduction de 1,45 % sur toutes les commandes reçues à compter de septembre 2016 et que cette baisse de prix serait perçue comme étant acceptée par le fournisseur s’il continuait à approvisionner ce détailant.
Une autre chaîne de supermarchés de a aussi envoyé une lettre demandant à ses fournisseurs une déduction de 1 % à 2 % prétextant que c’était pour être conséquent avec la demande faite par l’autre détaillant. Par la suite, un troisième détiallant a aussi fait de même en envoyant une lettre à tous ses fournisseurs pour demander une déduction de 2 %.
Un autre exemple de condition additionnelle demandée par une chaine de magasins concerne les frais que le détaillant a imposé à ses fournisseurs en 2008 au moyen de déductions automatiques. Cette chaîne de magasins a demandé à ses fournisseurs de signer un formulaire les engageant à accepter des frais additionnels déduits automatiquement du paiement au fournisseur. Ces frais étaient de l’ordre de 1 % pour les marques nationales et de 2 % pour les marques privées. Ces déductions additionnelles faites par ce détaillant devaient être acceptées par les fournisseurs en signant simplement le formulaire et en le retournant au détaillant. Cette baisse de prix était applicable pour l’ensemble des produits achetés par Loblaw, incluant les produits nouvellement mis en liste.
Dans ce cas précis, on justifiait la demande par le coût d’un programme de rénovation des magasins de la chaîne. Il faut noter que cette initiative a été imposée aux fournisseurs avec peu ou pas d’autres choix. Pour le fournisseur, une possible conséquence du refus de cette demande n’était ni plus ni moins que de voir cette chaîne cesser l’achat de ses produits. Le problème réside ici dans le fait que la négociation ne semble pas du tout une option prometteuse pour le fournisseur. En effet, s’il est possible d’argumenter au sujet de la légitimité de cette imposition de frais, il est fort probable que le détaillant va favoriser le fournisseur le plus coopératif à l’égard de ses demandes de frais commerciaux.
D’autres frais de réorganisation de ce type ont été facturés aux fournisseurs après les dernières grandes acquisitions faites dans l’industrie canadienne de l’alimentation au détail. Par exemple, une chaine de magasins a demandé une déduction de 1% à ses fournisseurs à la suite de l’acquisition du détaillant ontarien, une autre chaine de magasins a aussi imposé une déduction de 1% à ses fournisseurs quand l’entreprise a acquis un détaillant de l’ouest canadien.
Ces conditions additionnelles de 1% ou 2 % représentent de toute évidence une partie de la marge de profit du fournisseur qui se trouve redonnée au détaillant.
Estimer le coût total de ses nouvelles pratiques commerciales
Le coût des pratiques commerciales décrites dans cet article représente une part importante du revenu des fournisseurs alimentaires qui est donc remise aux détaillants. Il est possible d’estimer l’effet de ces nouvelles pratiques commerciales après leur mise en application sur une période de deux à quatre années. Les estimations présentées ci-dessous représentent un pourcentage des ventes redonnées au détaillant:
– Augmentation de 1 % à 2 % du programme de mise en marché (O&A);
– Augmentation des frais de mise en liste, représentant de 0,5% à 2% des ventes;
– Extension des termes de paiement de 30 à 60 jours représentant une perte de revenue de 1% à 2%;
– Frais de déchargement, représentant de 0.25% à 1% des ventes;
– Marchandise invendable représentant 0.5% à 1.5% des ventes;
– Période de gel de prix allant de 12 à 24 semaines représentant 1% à 3% des ventes
– Conditions additionnelles de 1% à 2%.
Le coût de ces pratiques commerciales peut représenter 4 à 12% des ventes d’un fournisseur qui sont redonnés au détaillant dans l’espace de deux à quatre ans. Les changements des frais de commercialisation dans le réseau des chaînes de supermarchés nationales peuvent affecter de façon significative la marge de profit des fournisseurs. Les fournisseurs acceptent probablement les demandes de changement des conditions commerciales parce qu’ils n’ont simplement pas le pouvoir de négociation nécessaire pour contester ou refuser ces exigences. Et même s’il est possible de débattre de ces demandes d’augmentation de coûts, on peut penser que le détaillant favorisera les activités de mise en marché du fournisseur le plus coopératif à l’égard de ses demandes de frais commerciaux.
Les pratiques commerciales sont à la source de controverses dans l’industrie de l’alimentation au détail depuis au moins 40 ans. L’enjeu actuel pour les détaillants consiste à augmenter leur marge de profit et les revenus financiers provenant de chacune de ces pratiques commerciales. En fin de compte, ces frais financiers complexes et arbitraires peuvent diminuer la volonté des fournisseurs de collaborer avec les détaillants dans des activités de commercialisation. Tout comme on l’a observé au cours des dernières années, les pratiques commerciales contribuent dans bien des cas à créer des relations conflictuelles entre les détaillants et leurs fournisseurs.
L’ironie de la chose est que la plupart du temps, les fournisseurs augmentent leur prix sachant très bien que les épiciers demanderont d’autres avantages financiers. Cela peut devenir une sorte de tour de passe-passe entre détaillants et fournisseur. Le problème réside dans le fait que ces frais sont devenus une sorte de cible mouvante qui restera difficile à atteindre et à contrôler tant que les attentes et les pratiques à ce sujet ne seront pas plus claires pour tous les intervenants.
Dans tout cela, les fournisseurs capables de produire et de commercialiser les meilleures marques et des produits en forte demande seront moins affectés, car tous les détaillants doivent vendre Tide, Coke et Heinz. C’est pourquoi les fournisseurs y compris les nouveaux offrant des produits uniques et innovateurs seront aussi moins touchés par ce phénomène de frais commerciaux. Tous les épiciers recherchent aussi d’excellents nouveaux produits. Si on leur offre un autre produit de type identique (me-too products) comme une extension de gamme non différenciée ou une autre marque de petits pois en conserve, les détaillants se feront très exigeants dans leurs demandes. En un mot, il est important pour les nouveaux fournisseurs et les nouveaux gestionnaires de comptes dans le secteur de la grande distribution de rester au courant de l’évolution rapide de ces pratiques commerciales. Une bonne connaissance de ce contexte d’affaires par une planification réaliste des budgets de commercialisation peut simplement améliorer les chances que les relations fournisseur-détaillant soient fructueuses.
NDLD: Finalement, qui selon vous paie pour ces pratiques commerciales? Évidemment, ce sont les consommateurs.
À propos de l’auteur
Simon Dessureault a occupé différentes fonctions au cours des 10 dernières années au sein de l’industrie de la transformation alimentaire. Il a été responsable de plusieurs aspects de la distribution alimentaire notamment en gestion de comptes nationaux, en marketing, en exportation et gestion d’équipes de courtiers. Avant de se joindre à l’industrie de la transformation alimentaire, Simon a travaillé pour le George Morris Centre, un institut de recherche en économie agroalimentaire basé à Guelph en Ontario. Il a participé à plusieurs projets reliés aux secteurs agricole et agroalimentaire. Simon est demeuré un consultant occasionnel pour le George Morris Centre jusqu’en 2014 et il est un contributeur à la revue Grocery Trade Review.
Simon a obtenu un baccalauréat en économie et gestion agroalimentaires de l’Université Laval et une maîtrise en agroéconomie de l’Université de Guelph avec une spécialisation en Food Business Economics. Son mémoire de maîtrise a remporté la bourse Applebaum Award ainsi que la mention Outstanding M.Sc. Thesis in Food Distribution & Marketing décernée par la Food Distribution Research Society (États-Unis).
Simon peut être rejoint à cette adresse courriel: simondessueault@gmail.com
Ce texte est une traduction faite en collaboration avec L’actualité ALIMENTAIRE de l’article intitulé Trade Practices Used in the Canadian Grocery Industry