« En distribution alimentaire, les licenciements se succèdent pour permettre aux bannières d’épargner. Mais surtout, on crée tranquillement de la place pour un capital humain qui pense autrement. »
SYLVAIN CHARLEBOIS, Professeur en Distribution et Politiques Agroalimentaires, Doyen de la Faculté en Management, Université Dalhousie.
Les annonces de mises à pied s’enchaînent dans le domaine de la distribution alimentaire. Métro annonçait cette semaine que l’entreprise laissait partir 250 employés au Québec et en Ontario. Par ailleurs, Loblaw, le numéro un au Canada, remerciait 500 employés de bureau de son siège social, situé au 1 President’s Choice à Brampton pour réduire les coûts un peu partout au pays, soit à Calgary, Toronto, Winnipeg, Halifax et Montréal.
Les pressions sur l’industrie sont réelles. D’abord, le niveau de compétitivité relevé empêche les détaillants d’augmenter les prix au détail de façon même subtile. Il devient donc difficile d’augmenter les marges, alors il faut diminuer les coûts d’opérations. Calcul simple à faire.
L’autre aspect frappant nous vient de l’adoption du numérique et de la robotisation en distribution et au détail. On ne le cache même plus aujourd’hui avec les annonces de réinvestissement qui se succèdent. La modernisation des centres de distribution et des magasins laisse de plus en plus de place à l’intelligence artificielle et moins à l’humain. L’intuition, l’outil privilégié des gestionnaires en alimentation depuis des décennies, a de moins en moins la cote. Il fallait s’y attendre, dans la mesure où les us et coutumes du secteur devenaient de plus en plus obsolètes. Par contre, tout cela se produit à un rythme effréné. Sur à peine dix ans, on remarque une nette amélioration de la capacité de gérer des données et d’anticiper les faits et gestes du consommateur, et cela ne fait que marquer le début. Le secteur qui a déjà embauché environ 450 000 personnes pourrait en compter moins de 300 000 d’ici quelques années, et générer plus de revenus. C’est l’adage habituel des changements structurels, faire plus avec moins.
Le fait que quelques provinces envisagent d’augmenter le salaire minimum à 15 $, voire même 18 $ d’ici quelques années, force les distributeurs à gérer le capital humain de façon différente. Le salaire minimum représente un frein à la création d’emploi, peu importe ce que disent certains groupes. Une multitude d’entreprises a mentionné tour à tour, que des salaires minimums trop élevés les forceront à prendre des décisions difficiles. Les effectifs diminuent partout. On pourrait même voir plusieurs services confiés en sous-traitance d’ici quelques années. Mais dans un monde où les secrets industriels sont omniprésents, la sous-traitance a ses limites.
Plus important encore, ce qui pointe à l’horizon n’a rien pour rassurer. Les Walmart, Costco et Amazon s’attaquent à une industrie en étant munis d’un registre stratégique qui ne ressemble aucunement à ce que les traditionalistes utilisent et poussent les limites paradigmatiques du secteur à une allure qui frissonnent. Ils misent sur le vrac, l’achat en ligne, des avenues ignorées pendant des années par les grandes bannières.
L’empreinte logistique pour certaines de ces entreprises est incroyable, surtout dans le cas de Walmart. Costco offre une qualité qui surprend, et Amazon demeure la menace du futur avec sa notion de traiter les données pour mieux comprendre le consommateur. Aujourd’hui, les trois supermarchés, Loblaw, Sobeys et Métro tentent de suivre.
Depuis quelques années, ils essaient de suivre la cadence avec le même monde, le même talent. Or, les trois entreprises ont compris qu’il faut des employés qui pensent autrement. La culture au sein du secteur de la distribution alimentaire connaît une totale mutation. Alors, il faut laisser de la place à des employés non biaisés, sans idées préconçues. L’art de bien placer des tomates ou des pommes sur un étal, ou de bien positionner un produit à rabais au bout d’une allée ne suffit plus. Pour penser autrement, il faut du sang neuf.
Malheureusement, lire des annonces de licenciements désole toujours. Par contre, dans le cas de la distribution alimentaire, c’est symptomatique d’un éveil collectif. Les pratiques traditionnelles ne suffisent plus. Le secteur exerce des coupures non seulement pour protéger des marges déjà assez minces, mais surtout pour s’outiller différemment. Le nombre absolu d’employés continuera de diminuer, mais une nouvelle génération s’installe afin de permettre au secteur de se moderniser.