« Depuis plusieurs années, les producteurs de lait sont aux prises avec une problématique de contournement des contrôles frontaliers. Il y a eu les mélanges d’huile de beurre et de sucre à la fin des années 1990. Plus récemment, celle de l’importation, sans limites et sans tarifs, de concentrés protéiques liquides a pris des proportions très inquiétantes » a expliqué le directeur général des Producteurs de lait du Québec, monsieur Alain Bourbeau, alors qu’il prenait la parole devant les parlementaires de la Chambre des communes au sujet du problème d’importation d’isolats de protéines laitières (IPL) et de lait diafiltré. Il s’est exprimé d’abord devant le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire le 9 mars 2016 puis devant le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts du Sénat, le 10 mars 2016.
« Tous les partis politiques, lors de la dernière élection, incluant le présent gouvernement, ont réitéré leur engagement à régler le problème. Cette brèche, si elle n’est pas colmatée, menace clairement la pérennité de notre politique agricole canadienne pour le secteur laitier. Le problème est connu des autorités gouvernementales depuis au moins deux ans, mais n’est toujours pas réglé. La solution au problème des importations de lait diafiltré est politique. Il faut que le gouvernement canadien tranche rapidement et une fois pour toutes! » a ajouté monsieur Bourbeau.
En effet, l’importation des produits laitiers au Canada est limitée par des tarifs douaniers, un contrôle essentiel au bon fonctionnement de la gestion de l’offre, le moyen par lequel les producteurs de lait établissent le meilleur équilibre possible entre l’offre et la demande de leurs produits et qui leur permet de tirer leur revenu entièrement du marché, sans subventions. Or, depuis la fin des années 90, des ingrédients laitiers entrent au pays sans tarifs en utilisant des failles du classement tarifaire pour contourner les limites d’importation. Le cas actuel le plus grave est celui des isolats de protéines laitières et du lait diafiltré, des concentrés de protéines laitières qui remplacent de plus en plus la protéine du lait frais canadien dans la fabrication de certains produits laitiers. On estime que les importations d’IPL atteindront 32 000 tonnes en 2015, causant un manque à gagner de plus de 200 millions de dollars aux producteurs.
« Ces produits sont choisis pour l’importation puisqu’ils permettent à la fois d’éviter les tarifs douaniers et par manque de cohérence entre l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), ils permettent aussi d’éviter la limite d’utilisation prévue par les normes de composition des fromages au Canada », a insisté monsieur Bourbeau. Rappelons qu’en 2007, afin de limiter les dommages liés à l’importation de concentrés de protéines laitières et à la suite d’une grande mobilisation des producteurs laitiers, le gouvernement a mis en place des normes de composition des fromages. Ces normes établissent un pourcentage minimum de protéines (caséines) qui doivent provenir du lait dans le fromage et limitent l’ajout d’ingrédients laitiers tels les IPL pour compléter la recette de fabrication. Le problème semblait ainsi réglé jusqu’à l’arrivée du lait diafiltré, en 2013.
À la frontière, le lait diafiltré est classé comme ingrédient laitier (concentré de protéines laitières de plus de 85 % sur une base sèche) et exempté de tarifs. Une fois au Canada, l’ACIA le considère comme du lait et non comme ingrédient laitier dont l’ajout est plafonné dans les recettes de fromage. « Cette double personnalité d’un même produit n’est pas acceptable. Ou c’est un ingrédient qui entre sous les tarifs, mais dont l’ajout au fromage est contrôlé par les standards canadiens, ou bien c’est du lait dont l’importation est limitée par des tarifs hors contingents » a déclaré monsieur Bourbeau.
Récemment, le gouvernement a encore formellement reconnu l’existence du problème. En effet, La Terre de chez nous rapportait le 5 février dernier le contenu d’une déclaration écrite obtenue du bureau du ministre Lawrence MacAulay : « Nous sommes conscients des préoccupations de l’industrie concernant l’utilisation du lait diafiltré dans la fabrication du fromage. Selon les normes compositionnelles du fromage, il n’a jamais été dans les intentions que le lait diafiltré soit utilisé au lieu du lait. Nous travaillons afin d’assurer que les règles sont claires pour tous. Le Canada reconnaît l’importance de mesures de contrôle efficaces des importations et gère ses importations conformément à ses obligations en matière de commerce international », affirmait le ministre. Cette même déclaration avait été faite deux jours plus tôt lors d’une allocution du ministre devant les délégués des Producteurs laitiers du Canada. Malgré ces engagements répétés, aucune mesure concrète n’a encore été annoncée par le gouvernement.
Accords de libre-échange et compensations
Par ailleurs, le directeur général a rappelé que le secteur laitier sera grandement affecté par l’éventuelle entrée en vigueur de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne ainsi que du Partenariat transpacifique (PTP). L’entrée en vigueur combinée des deux accords commerciaux entraînera, à terme, une perte récurrente pour les producteurs d’environ 6 % du marché laitier canadien, une perte qui s’additionne aux 8 % de parts de marchés déjà concédées par le Canada à ses partenaires commerciaux dans des accords précédents. Ces pertes en ventes de lait (revenu brut) représentent pour les producteurs canadiens environ 400 millions de dollars par année si l’on tient compte de l’impact du PTP (250 millions de dollars) et de celui de l’AECG (150 millions de dollars)! . Cela représente des pertes annuelles permanentes de ventes de lait de 29 000 $ à 33 000 $ par ferme. Le programme de compensations annoncé par le précédent gouvernement ne devrait couvrir que 11 000 $ en moyenne par ferme laitière pour une période de 15 ans.
« Le gouvernement doit resserrer le contrôle des importations et mettre en place des mesures de compensation qui permettront aux producteurs de lait et aux transformateurs laitiers d’avoir un environnement d’affaire prévisible pour investir et développer leur secteur de manière rentable, malgré les importations supplémentaires concédées dans le PTP et l’AECG » a conclu monsieur Bourbeau.
À propos des Producteurs de lait du Québec
La production laitière génère au Québec quelque 83 000 emplois directs, indirects et induits et contribue à hauteur de 6,2 milliards de dollars au produit intérieur brut. Finalement, elle entraîne des retombées fiscales de 1,29 milliard de dollars, dont 678 millions de dollars au gouvernement fédéral et 454 millions de dollars au gouvernement du Québec. Les Producteurs de lait du Québec, affiliés à l’UPA, représentent les 5 856 fermes laitières qui livrent annuellement près de 3 milliards de litres de lait, dont la vente totalise des recettes à la ferme de plus de 2,4 milliards de dollars.