Par Grégory Dubourg, fondateur et directeur général, Nutrikéo-Consulting
À l’heure où les consommateurs sont en demande de transparence et d’information sur les produits qu ’ils consomment, le public et le privé s’activent pour proposer des solutions. Valeurs nutritionnelles, allégations, feux de signalisation tricolores, notation… Quelles sont les mesures utilisées en Europe?
Priorité de santé publique, la nutrition constitue aujourd’hui une véritable préoccupation pour les consommateurs européens. Malgré un élan de bonne volonté pour déchiffrer les emballages, le grand public est bien souvent freiné par des indications trop complexes. Pour l’aider à éclaircir ces renseignements, l’Union européenne, les industriels et les gouvernements se mobilisent à l’aide de règlements, propositions et projets de loi.
Valeurs nutritionnelles : entre transparence et complexité
Désormais conformées par le règlement européen concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires (INCO), les valeurs nutritionnelles des emballages se renouvellent et sont obligatoires depuis le 13 décembre 2014 pour les produits présentant déjà un étiquetage nutritionnel volontaire et au 13 décembre 2016 pour les autres.
Au programme, une harmonisation des règles d’étiquetage en Europe et davantage de renseignements disponibles pour les consommateurs (présence d’allergènes, pays d’origine ou de provenance, liste des ingrédients…). L’innovation majeure de ce règlement est l’obligation d’afficher une déclaration nutritionnelle. Cinq données principales devront être obligatoirement affichées dans un même champ visuel et selon un ordre précis, à savoir : la valeur énergétique, les matières grasses (dont les acides gras saturés), les glucides (dont les
sucres), les protéines et le sel.
Ce règlement constitue une mesure intéressante pour le consommateur, qui peut par exemple comparer les taux de sucre ou de matières grasses entre plusieurs produits, par portion de 100 g ou de 100 ml. Il impose aux Européens d’être bien informés en amont pour se faire un avis sur la qualité nutritionnelle d’un aliment. Le règlement INCO permet ainsi aux industriels de faire un pas en avant vers plus de transparence nutritionnelle, mais il nécessite d’être complété par une approche plus intuitive pour le consommateur.
Des initiatives pour optimiser l’étiquetage
Source de nombreuses discussions, le projet de la Commission européenne pour définir des profils nutritionnels est encore en cours d’évaluation. L’enjeu est de trouver un système d’évaluation européen commun. Il est en effet très difficile de savoir de quelle manière ce profil doit être établi : quels produits doit-il concerner ? Quels nutriments doivent être pris en compte et quelles quantités doivent être choisies comme référence ? De plus, chaque pays tente de défendre ses intérêts et sa culture culinaire. Ce projet a par exemple été source de polémique en France, car les fromages, riches en matières grasses, risquaient d’être mal notés.
Dans l’attente d’un accord à l’échelle européenne, l’Europe autorise chaque État à choisir son propre système d’étiquetage. Le système anglais, mis en place en 2006 à l’initiative des industriels et approuvé par le gouvernement britannique, attribue une couleur (vert, jaune ou rouge) par aliment et par nutriment (lipides, graisses saturées, glucides et sel). La Norvège et le Danemark ont opté pour un système visant à classer les aliments selon une valeur seuil fixée pour chaque nutriment (matières grasses, sucre, sel…) au sein de chaque famille d’aliments. Le Bureau régional de l’Europe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) préconisent une classification regroupant les modèles nordiques.
En France, aucun système n’a pour l’instant été adopté par le gouvernement. En janvier 2014, Serge Hercberg, président du Programme national nutrition santé (PNNS), a proposé de classer les aliments selon un code de couleur divisé en cinq catégories définies en fonction du score nutritionnel attribué au produit. Cette note serait calculée selon la composition nutritionnelle de l’aliment en fonction de sa teneur en énergie, sucres simples, acides gras saturés et
sel. L’un des objectifs de ce système serait d’inciter les industriels à limiter les teneurs en sucres, sel et matières grasses. La chaîne de distribution française Intermarché a d’ailleurs adopté un système similaire appelé Nutripass. Des pastilles rondes jaunes, vertes ou rouges caractérisent les teneurs en sucres, sel et matières grasses. Des pastilles carrées mettent en avant les nutriments contenus dans le produit à privilégier.
Bien que ce système de pastilles soit soutenu par les associations de consommateurs et plaise au gouvernement, il déplaît aux industriels qui ont peur d’une stigmatisation des produits. Certains nutritionnistes considèrent également que le consommateur risquerait de culpabiliser à l’achat d’un produit avec une pastille rouge, associée au plus mauvais score. Pour contrer cette proposition, la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution qui représente la grande majorité des grandes distributions françaises a proposé au début de 2015 un profil nutritionnel basé sur la fréquence de consommation des produits. L’industriel aurait le choix entre quatre pictogrammes de couleurs différentes indiquant la fréquence de consommation recommandée. L’un des arguments est qu’un aliment n’est jamais mauvais pour la santé s’il est consommé dans des proportions raisonnables. Ce système a d’ailleurs déjà été mis en place par la chaîne d’hypermarchés
Carrefour à la fin de 2014.
Les allégations à la loupe
Outre le règlement INCO, les communications autour des produits ne peuvent en aucun cas attribuer aux denrées alimentaires des propriétés préventives ou curatives d’une quelconque maladie. C’est là que le règlement sur les allégations entre également en ligne de compte : ces dernières pouvant être des arguments très impactant aux yeux des consommateurs et constituant des moteurs d’achat non négligeables, il est logique qu’elles soient également régulées. Les produits revendiquant un effet sur perte de poids ou participant à la prévention du risque cardiovasculaire sont parmi les plus tendance. Ces allégations s’appliquent tout particulièrement aux aliments « santé », comme les produits laitiers et céréaliers, les eaux, les margarines, ou encore les huiles.
Les allégations nutritionnelles (par exemple : « riche en fibres ») et de santé (par exemple : « contribue à la diminution du risque cardiovasculaire »), qui sont des promesses suggérant qu’une denrée alimentaire possède des propriétés bénéfiques particulières, sont fermement encadrées par une réglementation stricte. Seules les allégations nutritionnelles figurant sur la liste des allégations autorisées du règlement européen (CE) 1924/2006 peuvent être exploitées dans les communications touchant les denrées alimentaires. Les allégations de santé, fonctionnelles ou faisant référence à la réduction d’un risque de maladie ou à la santé infantile sont quant à elles soumises à l’approbation de la part de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) sur la base de données scientifiques solides. Les noms commerciaux, les marques de fabricants ou bien encore toute dénomination fantaisiste sont concernés et doivent donc répondre aux exigences du règlement pour éviter toute incompréhension ou sur promesse sur les bénéfices du produit.
Quels impacts pour les industriels et les consommateurs?
Si ces nouvelles dispositions permettent aux consommateurs de choisir leurs produits de façon la plus éclairée possible, elles sont toutefois perçues comme une contrainte du point de vue des industriels du secteur. En effet, la mise en application de l’affichage nutritionnel engendre des dépenses importantes en raison des analyses à prévoir, de la mise en conformité des emballages et du nombre très important de références concernées.
Toutefois, aujourd’hui, regagner la confiance des consommateurs est primordial : la mise à leur disposition d’un maximum de renseignements standardisés et plus lisibles est un excellent moyen de les rassurer et éventuellement de les fidéliser. De ce point de vue, la réglementation reste certes contraignante, mais elle représente également un nouveau défi porteur de qualité à relever.