« Pendant que l’enquête du Bureau de la concurrence sur l’histoire du pain se poursuit, il faut tout de même reconnaître une chose : Loblaw-Provigo, Sobeys-IGA, Métro, Wal-Mart et le Tigre Géant, les entreprises visées par l’enquête sont immensément distinctes. Fort probablement, il y a eu collusion partout, mais dans certains cas, opérationnaliser un schème illégal est beaucoup plus difficile. »
L’industrie agroalimentaire éclaboussée par l’histoire du cartel du pain s’en remettra. De manière générale, la population, découragée, passera à autre chose, mais continuera à fréquenter les mêmes supermarchés à la recherche des meilleures aubaines. Cette quête de normalité mène aux mêmes habitudes, au même choix. Difficile de croire que les choses changeront pour les consommateurs. Toutefois, pour l’industrie agroalimentaire, l’histoire du pain change tout, surtout pour les détaillants.
Loblaw larguait sa bombe en décembre en avouant avoir participé pendant 14 ans à des activités illégales de fixation de prix avec sa filiale, la boulangerie Weston. En même temps, l’entreprise de Brampton mentionnait que cinq autres entreprises étaient dans le coup, incluant Métro et Sobeys-IGA. La semaine dernière, le Bureau de la concurrence rendait public son rapport et dévoilait des détails de cette entente secrète.
Ce que l’on sait maintenant rend perplexe. Le troublant rapport du Bureau de la concurrence affirme que pendant près de 15 ans, il y a eu collusion au sein de l’industrie. En effet, deux systèmes fonctionnaient en parallèle. On y apprend que Canada Bread et Weston s’entendaient d’abord sur des hausses de 7 cents du prix du gros, avec l’approbation des détaillants. Puis d’autre part un groupe de détaillants, incluant Loblaw, Sobeys-IGA, Tigre Géant, Métro et Wal-Mart Canada, convenait d’une hausse de 10 cents. Selon le rapport, les deux systèmes suivaient une formule communément appelée 7/10, soit 7 cents pour les boulangeries, 10 cents pour les détaillants.
Des faits probants accablent le premier schème entre les boulangeries. Au détail, les choses sont moins claires. Certes, la preuve indique qu’il y a eu des échanges, mais de là à dire qu’il y a eu collusion, c’est une autre affaire. Il reste tout à fait normal et même souhaitable de voir des concurrents échanger de l’information, sans enfreindre la loi. Après tout, les entreprises affrontent souvent des défis similaires, nouvelles réglementations, commerce international et changements climatiques. Souvent, par le biais du pouvoir associatif, ces discussions offrent au secteur une occasion de mieux servir la clientèle.
Aucune accusation criminelle n’a été portée pour l’instant. Seule la Cour de justice de l’Ontario décidera si certaines entreprises méritent une accusation. À part Loblaw qui jouit d’une immunité en avouant ses torts en décembre dernier, les autres participants du soi-disant cartel s’exposent à une amende de 25 millions de dollars, et même 14 ans de prison pour certains de ses dirigeants. Métro et Sobeys-IGA nient tout avec vigueur et menace même de poursuivre Loblaw qui s’obstine à dire depuis des semaines que tout le monde prenait part à cette tromperie. Pendant ce temps, pas un traître mot de la part de Wal-Mart Canada, et même de Maple Leaf Foods, propriétaire de Canada Bread pendant des années.
Bien sûr, nous ne savons pas encore tout sur cette histoire ahurissante. Au-delà du rapport, il faut tout de même reconnaître la dissemblance des entreprises pointées par l’enquête. Loblaw, verticalement intégrée, et Weston ont le même propriétaire et exercent une influence sans égale. Loblaw, le numéro un au détail alimentaire au Canada, vend pratiquement deux fois plus de produits alimentaires que son second rival, Sobeys-IGA.
Le géant Loblaw centralise son pouvoir au 1 President’s Choice à Brampton, puisque l’ensemble de ses magasins appartient à la chaîne. La coordination stratégique entre le siège social et les points de vente s’exerce donc de manière efficace. Wal-Mart et Tigre Géant utilisent un modèle très similaire. En revanche, la gouvernance de Sobeys-IGA et de Métro diverge complètement. Plus décentralisées, les deux entreprises doivent composer avec plusieurs épiciers-propriétaires indépendants, affiliés à une bannière. Chacun voit à ses intérêts et s’assure que son offre concorde avec un marché très localisé. Plan et dessin de magasin, services offerts, ainsi que promotions et politiques de prix peuvent varier d’un magasin à l’autre. Pour Loblaw, Wal-Mart Canada et Tigre Géant, le siège social assure toutes les décisions. Les valeurs corporatives de chacune de ces entreprises et leurs histoires uniques diffèrent et influent sur la façon de prendre des décisions. Transiger avec chacun d’eux constitue une tout autre expérience.
Qu’il y ait eu collusion partout, ne relève pas de l’imaginaire, cependant dans certains cas, opérationnaliser un schème illégal est beaucoup plus difficile. Mais la tension au sein de l’industrie reste palpable. Ce n’est pas demain que nous verrons tout ce beau monde au même party et tout porte à croire que la guerre des mots se poursuivra entre Métro, Sobeys-IGA et Loblaw.